Le bâton dans la tradition allemande

Les livres de combat traitent d’une multitude d’armes. A la fin du Moyen Age, c’est l’épée longue qui est la plus mise en avant. Même dans les époques plus tardives, les armes blanches tiennent toujours le haut de l’affiche. L’épée, quelque soit sa forme, est cependant loin d’être le seul type arme. Il existe en effet tout un pan des arts martiaux de l’époque dédiée à la plus simple des armes : le bâton.

Le bâton se distingue de la lance par son absence de fer à l’extrémité et donc une utilisation plus symétrique (Même s’il convient de nuancer cette dernière affirmation, vu l’utilisation fréquente de la pointe arrière dans des armes très proches comme la hallebarde ou la hache). De plus le contexte d’utilisation n’est souvent pas le même. La lance se trouve souvent employée dans le cadre du duel à pied en armure, alors que le bâton se voit plutôt associé à des combattants sans armure.

On considère que le bâton est la base de pratique pour toutes les autres armes d’hast, ce qui est également le point de vue de Joachim Meyer, dans son ouvrage de 1570.

Pourtant cette arme n’est présente que dans le corpus des textes allemands des XVe et XVIe siècles. Cela ne veut pas dire non plus que seuls les allemands parlent des armes d’hast. On trouve une petite section sur la lance chez Fiore Dei Liberi, mais c’est surtout la hache en armure qui représente les armes d’hast chez le maître italien. Plus tard au XVIe siècle c’est l’école bolonaise qui parlera du maniement de la hache, ainsi que de celui pertuisane. Enfin citons le fameux “Jeu de la hache”, premier traité parlant d’arts martiaux en français et datant du milieu du XVe siècle. Au XVIIe siècle, on retrouvera le bâton chez l’anglais Swetnam, ou chez le hollandais Pasch.

Dans la région du Saint Empire, la pratique du bâton est souvent associée à celle des fechtschulen et des salles d’arme. On voit souvent cette arme représentée au milieu des épées longues, coutelas et autres armes traditionnelles des fechtschulen.

Un des premiers manuscrits à parler du bâton est le Ms.3227a. Probablement écrit dans la première moitié du XVe siècle, c’est l’un des plus anciens témoin de l’escrime allemande. Il parle du bâton en ces termes au folio 78r :

Celui qui veut apprendre à combattre avec le bâton, il doit avant toute chose savoir et observer que le bâton doit être long de 12 empans et que le combat avec le bâton est tiré de l’épée. Et lorsque quelqu’un combat avec l’épée, il combat également avec le bâton, et les principes qui appartiennent à l’épée tels que : l’Avant, l’Après, la bravoure, la célérité, la ruse, la prudence, etc… appartiennent également au bâton.

Cela tend à montrer que pour certains maîtres, l’épée longue et le bâton partagent une base théorique commune et qu’il n’est pas farfelu de vouloir approcher le bâton par des textes parlant de l’épée.

Cette citation nous donne aussi des infos sur les dimensions du bâton utilisé. L’empan est une vielle unité de longueur, qui fait environ 20 cm. S’il s’agit bien du même empan dont parle le texte, alors l’arme dont il est question fait 2,40m ce qui est très grand. Au regard des différentes illustrations accompagnant les traités de bâton, celui-ci semble être malgré tout une arme assez grande, avoisinant la hauteur d’un homme avec le bras levé.

Il existe bien évidemment d’autres textes dédiés au bâton. Voici une liste des différents auteurs allemands traitant du bâton :

Hans Talhoffer

Hans Talhoffer dans le manuscrit Ms.XIX.17-3, daté des années 1440 propose un ensemble de pièces sur la lance, mais commençant sur une unique pièce de bâton. C’est le seul auteur faisant explicitement le lien entre lance et bâton. Même s’il a l’air tout à fait possible de réaliser ces pièces avec un simple bâton, les multiples occurrences montrant un adversaire transpercé confirment que le sujet ici est bien la lance, avec son fer tranchant.

Peter Falkner

Le premier texte avec un vrai contenu dédié au bâton pourrait être attribué à Peter Falkner. Il se trouve dans le MS KK5012, écrit à la toute fin du XVe siècle. On y trouve six pièces seulement, mais elles synthétisent assez bien ce que l’on trouve dans les autres traités. Traduction sur le site du Dr P-A Chaize.

Andreas Pauernfeindt

La maniement du bâton que l’on trouve chez Pauernfeindt est proche de ce que proposent Falkner et Rast. Il fait partie d’un traité d’escrime, le Ergrundung Ritterlicher Kunst der Fechterey, dont les premières versions remontent au début du XVIe siècle, et dont une édition fut traduite en français sous le nom de La Noble Science des Joueurs d’epée. Le texte est cependant beaucoup plus important et l’on retrouve chez Pauernfeindt quasiment l’intégralité des pièces de Falkner et Rast. C’est certainement la meilleure source pour commencer le bâton allemand. Traduction ici.

Antonius Rast

Tout comme pour Peter Falkner, Antinus Rast ne propose que peu de contenu sur le bâton avec seulement huit pièces. Là encore les thématiques abordées sont diverses et accompagnement bien des textes connexes ou plus complets. Traduction ici.

Paulus Hector Mair

Le bâton fait évidemment partie des armes contenues dans le gigantesque De Arte Athletica. A la différence des autres sources, l’arme utilisée par Mair semble être plus courte que la moyenne. Cela reste cependant à nuancer : les quatre dernières pièces (sur les vingt-deux que comporte la section sur le bâton), rajoutées dans la version latin/allemand montrent des bâton plus long. Traduction ici.

Joachim Meyer

Dans sont livre de 1570, Joachim Meyer donne une place importante aux armes d’hast. Il y décrit la pratique du bâton, de la hallebarde et de la pique. C’est lui qui dit explicitement que le bâton sert de base pour les armes d’hast. Cependant son style de bâton change radicalement avec les textes ci-dessus. Joachim Meyer utilise cette arme de façon asymétrique : pointe et talon du bâton de changent pas au cours du combat et les attaques sont en grande majorité des estocs. Même ses estocs sont singuliers au regard de ce qu’il y a avant. Ceux-ci sont poussés à la manière d’un “coup de billard” alors que cela ne relève que de l’occasionnel chez les autres auteurs. Le travail de Joachim Meyer sur le bâton a été repris de manière abrégée par Jacob Sutor au XVIIe siècle. Traduction ici.

Les petits gros, ou l’anonyme du “Ander Theil Des Newen Kunstreichen Fechtbuches”

Fameux pour ses illustrations sanglantes à souhait, le Ander Theil Des Newen Kunstreichen Fechtbuches est le dernier ouvrage à proposer des pièces sur le bâton. Lui aussi possède son propre style, mais toujours avec énormément d’estocs. C’est une sources très complète, qui propose beaucoup de situations diverse le long de ses trente-six pièces. Traduction ici.

Johann Georg Pascha

Auteur prolifique de la seconde moitié du XVIIe siècle, Georg Pasch parle du bâton dans ses ouvrages. Il est cité parce que le texte est en allemand, mais il n’a pas sa place ici pour plusieurs raisons. La première est que l’auteur nous dit lui-même qu’il parle d’une arme de tradition française, qu’il appelle d’ailleurs “Baston a deux Bous” dans le texte. Le contenu est également très différent : il ne s’agit pas ici de se préparer à combattre un adversaire unique, mais d’apprendre à se défendre contre plusieurs adversaire en même temps, par exemple en cas d’attaque de brigands sur les routes. On est donc assez loin de la salle d’arme ou du duel qui sert de base à la pratique des autres traités.


Voici donc les différents textes qui constituent le bâton allemands. Comme dit plus haut, certains partagent une certaine base technique. Ainsi on peut regrouper Pauernfeindt, Falkner et Rast dans un même ensemble. Au contraire Joachim Meyer et les petits gros sont assez uniques dans leur genre. Enfin Mair, malgré les difficultés à interpréter son style, serait à rapprocher des trois premiers.

Le bâton est une arme aux utilisations multiples, et même au sein de la tradition allemande il existe plusieurs façons de le pratiquer. Son maniement sert de base aux autres armes d’hast, mais le bâton reste malgré tout une arme à part entière.

1 thought on “Le bâton dans la tradition allemande

  1. Pingback: Le bâton des “Petits Gros” | Lecture & Combat

Leave a comment