Paulus Hector Mair est un haut fonctionnaire de la ville d’Augsbourg du milieu du XVIe siècle. C’est un amateur d’escrime et il est le commanditaire du plus gros livre d’armes qui nous soit parvenu. Produit en trois exemplaires, en allemand, en latin et dans une version bilingue, le livre sera très onéreux à produire. La version latine, dont les dessins sont rehaussés d’or et d’argent, a coûté la somme formidable de 800 florins. Pour réaliser cette entreprise, Paulus Hector Mair détourna les fonds de la ville, ce qui conduisit à sa mise à mort par pendaison en 1579.

Le De Arte Athletica est un ouvrage en deux volumes et est entièrement consacré aux pratiques martiales de son époque. On y trouve pèle-mêle des textes d’escrime d’anciens maîtres de la tradition de Liechtenauer, des parties inédites sur des armes variées, ainsi qu’une section concernant les tournois. Les armes étudiées sont très diverses, et on trouve ainsi :
- Epée longue
- Dussack
- Bâton
- Pique
- Hallebarde
- Faux
- Fléau
- Bâton de paysan
- Armes inégale
- Faucille
- Dague
- Lutte
- Épée seule, épée poignard et épée bocle
- Hache meurtrière
- Combat avec le bouclier à lames
- Combat à cheval
- Combat en armure
Chacune de ces sections est présentées de la même manière. Elles contiennent un certain nombre de pièces, chacune ayant un titre, un dessin d’illustration et un texte. Les pièces se présente toujours d’une même manière, spécifique au livre de Paulus Hector Mair. Le texte décrit l’action de deux escrimeurs, agissant à tour de rôles, ce qui permet de découper les pièces en séquence. En règle générale une séquence commence par un mouvement défensif (en réaction à la séquence précédente jouée par l’adversaire) et se poursuit avec un ou plusieurs gestes offensifs. Le titre et l’illustration ne sont en lien qu’avec qu’une seule de ces séquences. En voici un exemple :

L’image ci-dessus représente la 27e pièce de l’épée longue. Son titre est “Une percussion issue d’un crochetage” et l’image offre une représentation explicite du titre. La pièce comporte quatre séquences, délimitées en rouge et bleu, mais on voit bien que la mise en page du texte ne met pas en avant ce découpage. Seule la lecture du texte permet de faire cela. Cependant le changement de l’acteur est implicite, ce qui peut perturber la compréhension de la pièce. Si l’on prend le texte de cette pièce 27, cela donne :
Item. Lorsque tu viens vers l’adversaire dans l’approche, alors marche à l’intérieur avec ton pied droit et frappe-le en haut à la tête. Te frappe-t-il en haut à la tête, alors pare-lui cela et tire sa jambe droite à toi avec ta jambe gauche. Laisse ensuite ta main gauche partir de ton épée et va à l’intérieur sous son bras droit et place-la-lui à sa mâchoire. Percute-le ainsi vers le haut loin de toi. Te place-t-il ensuite la main à la mâchoire et veut-il ainsi te projeter, alors laisse tomber ton épée. Prends ton bras droit et place-le à son coude gauche. Avec cela attrape-lui le devant de sa main gauche avec ta main gauche et tourne-toi sur ton côté droit. Ainsi tu lui brises le bras. Veut-il te briser le bras et tu as ton épée dans ta main droite, alors percute-lui son coude droit avec le pommeau. Ainsi tu libères ton bras gauche.
Les transitions d’un acteur à l’autre se repèrent quand le geste d’action est répété mais que le sujet ne désigne plus la même personne : […] frappe-le en haut à la tête. Te frappe-t-il en haut à la tête […]. On peut ainsi délimiter les séquence de la pièce, et les attribuer à l’un ou l’autre des acteurs. Le premier escrimeur à agir sera désigné par la lettre A, le deuxième par la lettre B. Le texte de la pièce peut donc être mis sous cette forme :
Escrimeur A | Escrimeur B |
Item. Lorsque tu viens vers l’adversaire dans l’approche, alors marche à l’intérieur avec ton pied droit et frappe-le en haut à la tête. | |
Te frappe-t-il en haut à la tête, alors pare-lui cela et tire sa jambe droite à toi avec ta jambe gauche. Laisse ensuite ta main gauche partir de ton épée et va à l’intérieur sous son bras droit et place-la-lui à sa mâchoire. Percute-le ainsi vers le haut loin de toi. | |
Te place-t-il ensuite la main à la mâchoire et veut-il ainsi te projeter, alors laisse tomber ton épée. Prends ton bras droit et place-le à son coude gauche. Avec cela attrape-lui le devant de sa main gauche avec ta main gauche et tourne-toi sur ton côté droit. Ainsi tu lui brises le bras. | |
Veut-il te briser le bras et tu as ton épée dans ta main droite, alors percute-lui son coude droit avec le pommeau. Ainsi tu libères ton bras gauche. |
La première chose que l’on remarque c’est que le texte ne fait aucune référence à l’illustration. L’information du texte semble être prioritaire vis-à-vis de celle fournie par l’image, qui vient en supplément aider à la compréhension. Le texte existe en allemand et en latin, et avoir un regard sur les deux versions est toujours une bonne idée pour mieux cerner le sens du texte. De même certaine images se retrouvent modifiées au fil des versions du De Arte Athletica, et il faut aussi vérifier les éventuels changement.
Les exemples suivants comparent les version allemande (à gauche) et latine (à droite). Les différences entre les dessins peuvent être minimes, comme c’est le cas pour cette pièce de hallebarde, ou être totalement différent comme dans cette pièce de bâton. Dans tous les cas c’est le texte, qui ne subit que des variations d’ordre orthographique d’un exemplaire à l’autre, qui dictera quelle illustration il est préférable de suivre, et si les changement apportés ne rende pas l’illustration tout simplement fausse.


Comme le texte ne fait aucune référence à l’image, l’association de A et B aux personnages de l’illustration est à la charge du lecteur. Souvent, mais ce n’est pas toujours le cas, l’illustration reprend la thématique du titre. Pour une action aussi visible que celle de cette pièce 27, l’identification des rôles est aisée et on l’associe directement avec la séquence 2, joué par B. L’image montre donc A tel qu’il est à la fin de la séquence 1, et B dans sa position à la fin de la séquence 2. Vérifions :
- A la fin de la séquence 1, A à la jambe droite en avant, l’épée dans une position de frappe.
- A la fin de la séquence 2, à sa jambe gauche en avant, qui tire la jambe droite de A. Il tient son épée avec uniquement sa main droite, et pousse A au menton.
Cela permet donc d’assigner A à l’escrimeur de gauche, et B à l’escrimeur de droite. En règle générale comparer les placements des pieds est un bon moyen de situer la place de l’illustration par rapport au texte.

La pièce en elle-même se divise en deux : l’application de la technique “percussion + crochetage” et ses contres. La première séquence met en place le contexte dans lequel on vient effectuer la technique. Ici, il s’agit simplement d’un adversaire attaquant d’en haut à la tête, depuis sa droite.
La technique en elle-même est décrite dans la séquence 2. Le texte est très succinct et beaucoup d’informations sont inconnues. Par exemple B fait deux actions, la parade et le crochetage. Il n’est pas indiqué si elles se font avec un, plusieurs ou aucun déplacement de jambe. Ce qui donne les possibilités suivantes :
- On commence avec jambe gauche devant, la parade se fait en avançant la jambe droite, puis on crochète la jambe de l’adversaire en avançant la jambe gauche.
- On commence avec jambe droite devant, on pare sans faire de déplacement, puis l’on avance la jambe gauche pour crocheter la jambe avant de l’adversaire.
- On commence jambe avec gauche devant et après la parade, faite de plein pied, on attrape la jambe de l’adversaire depuis cette position.
Idem, certaines actions sont peut-être à effectuer en simultané, comme la parade et le crochetage, ou le crochetage et la percussion. L’illustration apporte une précision supplémentaire : il faut agripper la jambe de l’adversaire par l’extérieur.
Ce qu’il faut retenir de cette première partie c’est qu’il est possible de de venir saisir l’adversaire de cette manière, après une simple parade, du moment que l’on est assez proche pour lui accrocher le pied avant. C’est le concept principal mis en avant par la pièce, que l’on retrouve à la fois dans le tire, l’image et le texte.
Les séquences 3 et 4 sont des suites très contextuelles à la séquence 2. La première est un contre à ce crochetage/percussion en particulier, et la dernière est une réponse à ce contre.
La troisième partie de la pièce peut aussi être vue comme un contre à un adversaire qui tend son bras gauche pour faire une saisie. Il s’agit de faire une clé articulaire avec le bras de l’adversaire en lâchant son épée. Cependant cela reste malgré tout une action assez particulière, et s’il est intéressant de de connaître ce genre de contre, l’intérêt de la pièce n’est pas là. Il faudrait toutefois regarder dans d’autres pièces si de telles saisies sont contrées de la même manière.
C’est la grande spécificité de Paulus Hector Mair : il faut avoir plusieurs niveaux de lectures lorsque l’on veut en étudier l’escrime. Il faut déjà considérer la pièce seule : celle-ci présente en général une technique ou un concept unique, placée dans un contexte précis. En addition la pièce peut avoir du contenu supplémentaire.
Dans les plus gros ensembles, comme l’épée longue, ou l’épée bocle, les pièces sont généralement regroupées autour de certaines thématiques. Ainsi notre exemple, la pièce 27 de l’épée longue “Une percussion issue d’un crochetage” peut être associée aux pièces 26, 28, 29, 30 et 31. Leur point commun est de proposer différentes manières de venir lutter avec les bras après un liage. Le concept est exprimé à travers différents exemples, qui peuvent parfois être assez différents les uns des autres. Le lien entre ces pièces n’est pas toujours explicite, il faut faire attention au contenu. Cependant elles forment en général une suite continue, ce qui permet d’identifier les ensembles.

Enfin il existe un dernier niveau de lecture, qui nécessite une connaissance assez étendue de l’ensemble des textes pour être atteinte. En effet certains traits de l’escrime de Paulus Hector Mair sont plutôt dissimulés. Ils ne font pas l’objet de pièces, ni de sont détaillés ou explicitement indiqués. Ces éléments techniques sont pourtant essentiels si l’on veut comprendre le “style” de Paulus Hector Mair.
Le meilleurs exemple est celui des déplacements. Nulle part le texte ne donne de règles sur la manières de les effectuer. Pourtant, en parcourant l’ensemble du traité on s’aperçoit qu’ils obéissent à une certaine logique.
On se présente toujours avec les pieds “en décalé” : l’un sera en avant du corps l’autre en arrière. Il y a trois manières de se déplacer : vers l’avant, vers l’arrière et sur le côté.
Les pas vers l’avant se font en passant le pied arrière en avant du pied avant, tout comme les pas en arrières se font en passant le pied avant en arrière du pied arrière. Dans quelques rares cas, les pieds peuvent être rejoints et placés au même niveau en reculant.

Pas vers l’avant

Pas vers l’arrière
Lorsque l’on marche vers l’adversaire les textes précisent que l’on peut marcher “vers l’intérieur” ou “vers l’extérieur”. Cette nuance n’est pas très explicite, et rien ne permet d’établir une différence concrète entre ces deux pas en avant.

Marche vers l’intérieur

Marche vers l’extérieur
Les pas sur le côtés sont appelés “marches dans le triangle”, car le déplacement des pieds s’inscrit dans cette figure géométrique. Marcher ainsi permet de se décaler à gauche ou à droite, tout en restant avec le même pied devant.

Marche dans le triangle vers la droite, avec le pied gauche devant
Au travers des différentes pièces d’escrime on note que les déplacements sont très présents. En effet quasiment chaque action d’épée est effectuée avec un mouvement des jambes. Cela pose quelques contraintes : en fonction du pied qui est devant, les mouvements possibles ne seront pas les mêmes. Changer de pied avant nécessite soit d’avancer, soit de reculer. Par exemple avec le pied gauche devant, on pourra au choix : avancer la jambe droite, reculer le pied droit ou se décaler sur le côté en gardant le pied droit devant.
Cela a d’autres implication : en escrime allemande, pour frapper, on avance la jambe du côté où l’on frappe. Avec ce système de déplacement, cela conditionne les coups qui vont être donnés (et l’alternance des frappes gauches/droite), même si on trouve un certain nombre d’entorses à cette règle.
Paulus Hector Mair est un auteur compliqué à étudier. Lorsque l’on s’intéresse à une de ses armes, il faudrait donc :
- Passer en revue chaque pièce et, y déterminer le ou les concepts mis en valeur.
- Faire des regroupement thématique par pièces, pour étudier les différentes réponse à une même problématique.
- Parcourir l’ensemble des pièces et avoir une certaine connaissance sur les autres parties du traité, pour repérer les gestes et situations récurrentes, et ainsi en extraire des concepts
Cela est évidemment plus ardu si l’arme en question possède un grand nombre de pièces, comme c’est le cas pour l’épée longue, ou le combat en armure. A l’inverse, avec peu de pièces, le manque de contenu sera également une difficulté. On peut toutefois produire des choses satisfaisante à partir de peu, comme c’est le cas pour la faux et ses 10 pièces.
L’escrime de Paulus Hector Mair n’est encore qu’une vaste friche qui ne demande qu’à être exploitée. Le labeur est grand, mais les fruits de ce travail profiteront à une grande majorité de gens, tant les armes abordées sont variées.
Bonjour, merci de ces explications précises ! Pour le “marche vers l’intérieur/extérieur” comment en êtes vous arrivés à cette conclusion/ce mouvement ? Bien que convaincu j’aimerai connaitre le raisonnement derrière. Merci.
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Les déplacements vers l’avant, sont quasi toujours caractérisés par deux termes : “hinein” et “hinaus”. On peut les assimiler à vers le dedans/vers le dehors. Souvent le contexte de la pièce précise un peu les choses : on peut avoir des passages du style ” à l’intérieur, vers lui” ou “à l’extérieur, derrière son pied. En généralisant on obtient un déplacement plus dans l’axe de l’adversaire, et un autre qui part plus sur le côté.
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