Le combat avec l’épée est la deuxième grande partie du rossfechten. C’est l’arme la plus polyvalente et c’est avec elle que le combat gagne en complexité. Contrairement à la lance, où la longueur de l’arme force une certaine linéarité dans la rencontre, l’utilisation d’une arme plus courte fait gagner au combat une dimension supplémentaire. Il est maintenant possible de profiter de toute l’agilité de sa monture pour attaquer sur les côtés, en allant dans le sens de déplacement de l’adversaire ou face à lui. L’arme utilisée est l’épée longue, qui se tient à une main. Cela lui confère plus de portée qu’à pied, mais en contrepartie il faut apprendre à gérer l’inertie de l’arme.
A la différence de la lance, les cibles à l’épée sont multiples et précises. Bien qu’ils existent, les coups directs sur l’armure ont peu d’effet. Si l’on veut blesser l’adversaire, il faudra viser avec des estocs les ouvertures de l’armure : c’est-à-dire la visière, les aisselles, l’intérieur des articulations, les gants, etc… et viser celles du côté par lequel on aborde l’adversaire.
Les gardes
Tout comme la lance, l’épée est définie par un système de gardes qui sont les points de départ des différentes actions. Elles sont au nombre de cinq et se retrouvent dans la plupart des manuscrits. En règle générale on pourra distinguer des gardes défensives, dont on part plus facilement pour faire une parade et des gardes offensives, qui interdisent l’approche ou ferment des ouvertures parce qu’elles menacent avec la pointe.
La première garde, ou garde de côté à gauche se prend avec l’épée posée sur le bras gauche. Il est possible de la prendre d’une autre manière, la laissant pendre complètement sur le côté gauche, dans une pose plus dynamique, prête à remonter pour donner un coup inversé.
La première garde, ou garde de côté à gauche
La seconde garde est la garde haute, car elle se fait avec le bras levé au-dessus de la tête et l’épée qui menace l’adversaire avec l’estoc. Bien que cela ne soit pas indiqué explicitement, les coups de haut se font certainement depuis cette garde en pivotant la pointe vers l’arrière pour frapper.
La seconde garde, ou garde haute
La troisième garde s’appelle la garde de côté à droite. Ce n’est cependant pas le symétrique de celle prise à gauche. L’épée est tenue sur le côté droit avec la main assez basse, au niveau de la cuisse droite. C’est une position assez générique, car que la pointe soit vers l’adversaire ou non, elle est quand même nommée garde de côté à droite.
La troisième garde, ou garde de côté à droite
La quatrième garde a le nom de garde du toupet ou de garde de la crinière, à cause de la position de la lame qui s’appuie près de la tête du cheval. C’est la garde qui change le plus de description entre les traités. Chez Peter von Danzig, elle est prise avec la main sur le pommeau de la selle la lame et la pointe relativement haute. Chez Mair, la main est basse et la pointe ne dépasse pas les oreilles du cheval. On reste cependant dans l’idée d’une garde qui menace au centre avec la pointe.
La quatrième garde, ou garde du toupet
La cinquième garde n’a pas de nom, mais elle n’en a pas vraiment besoin : c’est la seule dans laquelle on tient l’épée en demi-épée, ce qui la rend très versatile. C’est également une garde fortement défensive. Tenue ainsi l’épée est dite « raccourcie », ce qui est tout à fait vrai car sa portée est très réduite par rapport à l’épée tenue à une main.
La cinquième garde, ou la prise en demie-épée
Attaquer avec l’épée
Les principes de l’épée à cheval sont relativement simples. Il existe deux manières d’attaquer : avec des coups et des estocs.
Les estocs partent des gardes « offensives » que sont la garde de côté à droite, la garde de la crinière et la garde haute, et se finissent dans longue pointe vers les ouvertures de l’adversaire. Cela définit trois hauteurs pour les estocs : haut, médian et bas.

Le cavalier de gauche a estoqué depuis la garde de côté
Ces attaques sont destinées à blesser l’adversaire. Les conséquences d’un estoc sont imprévisibles : un estoc réussi à travers la visière mettra sûrement fin au combat, mais un estoc mal exécuté peut toucher sans passer la maille, laissant alors l’adversaire indemne. Les traités de ne parlent pas de ce qu’il se passe après un estoc, peut-être à cause du côté aléatoire de leur réussite ?
La conséquence des coups de taille est beaucoup moins mystérieuse : l’armure protège intégralement son porteur face à ce genre d’attaque. Pourtant les textes appellent à faire des frappes et prévoient que la personne visée s’en défende systématiquement. Elles sont dirigées vers la tête de façon récurrente, malgré la présence du casque. Leur description est succincte mais la mécanique du coup reste similaire dans la majorité des cas : “s’il a tiré son épée, qu’il est monté avec le bras et qu’il veut frapper” et cela est appuyé par les nombreuses illustrations présentes dans les autres traités.

Le cavalier de droite arme un coup de taille vers la tête
Le coup est armé et donné depuis une position élevée, similaire à la garde haute et on frappe la tête de l’adversaire avec le bras en extension. On peut s’interroger sur l’utilisation de ces coups et leur but. Certes l’armure est censée totalement protéger de ce type d’attaque, mais les coups sont systématiquement parés (il existe une exception à cela chez Mair et Wilhalm, où l’un des opposants estoque sous l’aisselle pendant la préparation du coup, voir l’image précédente). S’il y a nécessité de se défendre, l’attaque doit avoir quelque efficacité, ou alors c’est que des conventions de pratique existent, de telles sortes qu’il ne faut pas se laisser toucher.
Enfin il reste toujours la possibilité de frapper avec le pommeau. Contrairement au coup du tranchant, les percussions avec la « seconde pointe de l’épée » peuvent étourdir l’adversaire si elles sont données sur la tête : « Alors prends l’épée par la pointe et tourne le pommeau devant. Frappe-le vers son casque. Ainsi il est sonné dans son casque ». Cela permet d’obtenir un temps supplémentaire, durant lequel on peut œuvrer avec plus de facilité.
Comme nous l’avons vu plus haut les coups et les estocs sont armés et ont de l’amplitude. Les raisons ne sont pas données, mais l’on peut émettre quelques hypothèses. Le fait de manier une épée longue à une main doit beaucoup jouer sur la manière dont on frappe. Bien que cette arme soit relativement légère, elle possède une grande inertie. Les frappes basées sur des mouvements de poignet deviennent alors vite douloureuses si l’on veut garder la maîtrise de son épée. Cela diminue également l’impact des frappes « fouettées » ou « punchées ». C’est sans doute dans un souci d’économie d’énergie que les frappes sont donc armées. En attaquant avec tout le haut du corps, on fait ainsi des frappes puissantes qui incitent l’adversaire à parer. Il en est de même avec les estocs qui sont présentés à partir des suspensions et qui finissent en longue pointe. Mais les coups armés ont également leurs défauts. En se mettant dans des positions aussi amples, on découvre les faiblesses de l’armure, ce qui peut pousser l’adversaire à estoquer ou à saisir le bras dans la préparation de l’attaque.

Un contre au niveau du coude pendant avant une frappe
Se défendre avec l’épée
La défense avec l’épée est simple également. Il y a deux façons de parer : soit dans la suspension haute, soit dans la suspension basse. Lorsque l’épée se trouve dans la garde de côté à gauche, la suspension haute est la position la plus évidente pour venir écarter un coup ou un estoc au niveau de la tête. Il s’agit plus ou moins d’un retour en garde haute, mais la pointe peut être plus ou moins sur la gauche en fonction de l’orientation de l’attaque et il faut récupérer la frappe adversaire sur le fort de l’épée. La seconde manière de parer est la suspension basse. Cette parade vient de la garde de côté à droite et consiste à remonter vers le coup ou l’estoc de l’adversaire pour l’écarter vers l’extérieur. On se protégera ainsi plus facilement des attaques allant vers le bas comme les estocs plongeants. Mais les frappes peuvent aussi être contrées en venant parer avec les quillons de l’épée et le bras tendu.
La parade basse et la parade haute

La parade avec les quillons
Ces deux manières de parer sont complétées par une troisième. Cela s’appelle “l’écarté” ou “absetzen“. Il s’agit d’un mouvement différent de celui que l’on fait depuis la suspension basse. C’est en effet une référence directe à “l’absetzen” du blossfechten de Liechtenauer, où l’on va projeter la pointe vers l’adversaire en même temps que l’on pare.

L’écarté avec la pointe
Liage et sentiment du fer
S’il convient d’assaillir les ouvertures lorsqu’elles se présentent, une rencontre à l’épée est rarement réduite à une frappe ou un estoc unique. Les pièces des traités peuvent être regroupées en deux catégories : celles dans l’Avant et celles dans l’Après. Les premières se commencent en attaquant l’adversaire avec un coup ou un estoc, le forçant ainsi à parer. A l’opposé nous avons celles s’effectuant dans l’Après, où l’on est contraint de se défendre de l’attaque adverse. Quel que soit l’état depuis lequel on effectue la pièce, la première action à réaliser avec l’épée amènera systématiquement à un premier liage, dans lequel on essaiera de rester dans l’Avant ou de le reprendre en fonction de la situation de départ.
Depuis le liage, et en fonction du sentiment du fer, on va chercher à œuvrer aux ouvertures avec la pointe, lancer une frappe ou un coup de pommeau, ou venir à la lutte si la distance le permet. C’est grâce aux mouvements de rotation ou winden, qu’il va être possible d’attaquer depuis le contact des épées. Les échanges présentés dans les pièces dépassent rarement les deux actions, les auteurs conseillant ensuite de s’éloigner rapidement. Cette frappe de seconde intention dans la fuite est l’occasion de varier les cibles et d’effectuer différentes techniques comme le “coup turc“, qui cible la nuque ou le “coup à la tassette” qui finit par frapper la main de rêne ou la jambe. On remarquera qu’il n’y a pas de coups de bas qui cherchent à atteindre l’adversaire et que le cheval une fois encore, n’est pas une cible à considérer.
Le combat avec l’épée est largement plus permissif en termes de déplacement que celui avec la lance et on peut ainsi attaquer de tous côtés. La plupart des pièces se déroulent de face, en croisant l’adversaire par la droite. Si elles sont également applicables de l’autre côté, certaines sont spécifiquement désignées comme n’étant réalisables qu’à gauche. Ces pièces s’effectuent tant dans l’Avant que dans l’Après, mais dans le liage, la main gauche, qui se trouve alors au plus près de l’adversaire, va venir agir sur la main droite de l’adversaire pour effectuer des saisies et des désarmements. Si c’est lui qui a l’idée d’utiliser sa main gauche, alors il est possible de le piéger avec certaines prises de lutte comme la prise de la crinière ou la révélation du soleil.
Désarmement et luttes à l’épée
L’épée longue tenue à une main possède assez grande allonge, ce qui permet de rester loin de l’adversaire pour attaquer. Toutefois cette distance peut être réduite par les actions, volontaires ou non, des deux combattants. L’épée se fait alors plus encombrante à cause de sa taille. Il devient difficile de lancer frappes et estocs de près. En contrepartie on peut utiliser plus facilement le pommeau et la main gauche pour venir lutter avec l’adversaire. Les techniques de corps à corps qui proviennent des attaques à l’épée sont les saisies avec la main gauche, les désarmements et les luttes à la tête. Ces techniques s’effectuent toujours depuis le liage. Il faut être relativement proche pour les effectuer – il s’agit de luttes -, mais garder le contact avec l’arme adversaire donne aussi d’autres informations. Cela permet en effet de savoir si l’adversaire veut quitter le fer ou non, et ainsi être prêt à réagir et se défendre.
Tout comme avec les armes à une mains pratiquées à pied, la main gauche va servir à faire des saisies et à entraver l’adversaire. L’utilisation la plus simple va être de venir saisir la main d’épée de l’adversaire au cours du liage. Cela va empêcher l’adversaire de de se défendre avec l’épée et il sera ainsi plus facile de chercher les ouvertures avec la pointe ou de réaliser une projection. Un contre général à cela va être de mettre son poids du corps vers l’avant et de s’enfuir en effectuant la “prise de la crinière“. C’est d’ailleurs pour cela qu’il faut être prudent : dans une rencontre droite à droite, attraper avec la main gauche oblige à se déséquilibrer. Il faut donc être prêt à se désengager. A l’inverse, en arrivant à gauche de l’adversaire, la main gauche peut travailler avec plus de facilité, ce qui explique la présence des saisies dans la quasi-totalité des pièces de ce côté.

Une saisie pour chercher les ouvertures
La lutte à l’épée la plus représentée est le désarmement. Tout comme avec la lance, il est plus intéressant d’affronter un opposant avec une arme plus courte ou à mains nues. Si l’épée a été sortie, c’est que le cavalier a dû jeter sa lance. Il ne lui restera alors plus que sa dague s’il vient à perdre son épée également. La plupart des désarmements sont réalisés en enroulant le pommeau autour du poignet de l’adversaire, par l’intérieur ou l’extérieur du bras. Une fois l’adversaire ainsi bloqué, il est possible de prendre le pommeau dans la main gauche pour faire céder l’adversaire avec plus de force. Une autre façon de le désarmer va être de venir agir sur son poignet droit ou son pommeau avec la main gauche. L’idée étant toujours de lui tordre le poignet pour lui faire lâcher son arme.

Un désarmement avec le pommeau
Il y a enfin les “verrouillages au cou“. Ces techniques de projection s’effectuent en venant contraindre l’adversaire par les cervicales pour le faire basculer en arrière et ainsi le faire chuter. Il faut pour cela venir saisir avec la main gauche l’épée derrière le cou de l’adversaire. Cela peut se faire en y plaçant la poignée et en venant attraper le pommeau avec la main gauche, mais la version la plus courante est faite avec la lame dans le dos. Cette technique se retrouve chez Talhoffer, Wilhalm, Mair et Rast. Il est notable que c’est la seule technique dans tout le rossfechten à utiliser un coup du bas avec le long tranchant, appelé aussi coup inversé dans les textes. Cela permet de dégager l’arme adverse et de poser la sienne sur son épaule gauche. Il est également possible de réaliser une variante de la “révélation du soleil” avec sa main gauche et la poignée, en venant de face forcer la tête de l’adversaire à regarder vers le ciel.
Deux versions du verrouillage au cou
L’épée contre la lance
Le combat asymétrique est un élément majeur du combat à cheval. La perte d’une arme n’est pas souvent un acte volontaire et les opposants vont chercher à avoir l’avantage l’un sur l’autre, notamment par le choix des armes. C’est la raison pour laquelle un cavalier armé d’une lance ne va pas hésiter à charger celui qui n’a plus que son épée. Fort heureusement c’est un cas classique du rossfechten et la littérature est fournie à ce sujet.
La manière la plus simple pour se protéger d’une lance consiste à l’écarter sur l’extérieur avec le fort de l’épée, à gauche ou à droite en fonction du côté où l’on est attaqué. Chacun de ces mouvements se réalise à partir de la garde de côté du côté correspondant. Si l’adversaire vient de la droite il faudra écarter sur la droite en suspension basse, de sorte que la lance glisse le long de la lame, au-dessus des quillons. Sur le côté gauche le principe reste le même, mais l’épée est tenue pointe vers le bas, en suspension haute pour pouvoir pousser la lance le plus loin possible. Une fois que la pointe de la lame est passée derrière le dos, l’avantage est à celui qui a l’épée. Il peut sans risque décoller son arme de la lance et venir placer la pointe ou percuter son adversaire avec le pommeau.

L’écarté contre la lance, avec l’épée ou une autre arme courte
L’écarté à droite et à gauche avec l’épée
Il existe une autre technique remarquable, que nous appellerons la «rotation par-dessus [la lance]», car elle est présente dans quasiment tous les traités. Elle consiste à écarter sur la droite comme précédemment, mais avant que l’adversaire ne se rapproche, il faut enrouler l’épée et le bras autour de la lance. L’arme est ainsi capturée tout en gardant la menace. L’autre cavalier est alors obligé d’abandonner sa lance pour pouvoir se défendre.
L’enroulement par-dessus la lance
Moins connues car présentes uniquement dans son traité, les techniques apportées par Antonius Rast sont des variantes de parades que l’on fait depuis la garde de côté à gauche. Mais contrairement à l’écarté décrit plus haut, ces défenses se font en croisant l’adversaire sur le côté droit. La lance sera parée sur le fort dans une suspension haute. Arrivé à hauteur de l’adversaire on pourra alors effectuer une autre prise de lutte comme la saisie de la main gauche de l’adversaire ou tenter de réaliser un verrouillage au cou pour le désarçonner.

L’écarté à partir du coup inversé
La demie-épée
La demie-épée à cheval est une spécificité des glossateurs. On la trouve à la toute fin des traités, ce qui lui donne une place marginale dans le corpus. Les principes sont dans les grandes lignes ceux de l’épée tenue à une main. Les coups et les estocs vont être parés à droite en suspension basse, avec le la partie de la lame qui est devant de la main gauche et ceux qui arrivent sur le côté gauche vont être parés en suspension haute, entre les deux mains. De cette manière, il est possible de se protéger contre la lance et l’épée. Une fois l’attaque contrée, les deux opposants seront plus proches, du fait du mouvement des chevaux. La petite portée de la demi-épée devient alors un avantage. Il est plus aisé de placer la pointe avec deux mains, comme dans le combat à pied, et l’adversaire est encombré par une arme trop longue. Si l’on ne veut pas estoquer, il est possible d’utiliser des techniques alternatives comme le “verrouillage du cou“, de faire une frappe meurtrière à deux mains ou de passer à la lutte car la distance est très réduite.
Exemple d’utilisations de la demi-épée
Conclusion
L’épée apparaît comme l’arme la plus versatile : on compte en moyenne deux fois plus de techniques pour l’épée que pour la lance. Elle reste cependant une arme secondaire à cause du grand avantage que procure la longueur de la lance. La plus faible portée de l’épée lui donne tout de même certains atouts : le maniement à une main permet de nombreuses passerelles avec les techniques de lutte, augmentant encore ce qu’il est possible de réaliser face à l’adversaire. Pour cette raison, l’épée est peut-être plus «technique» que le maniement de la lance. Si celle-ci nécessite évidemment de maîtriser le timing et laisse peu le droit à l’erreur, la réussite d’un coup de lance est généralement assurée dès qu’il y a impact. Au contraire l’épée demande de la précision. Le seul moyen de blesser l’adversaire est de passer sa pointe dans les ouvertures de l’armure, puis de passer les éventuelles protections de mailles. C’est pourquoi il est peut-être plus simple de mettre hors d’état de nuire un adversaire en le faisant tomber de sa monture, grâce à la lutte.