Outre les frappes et les parades, il existe une multitudes de techniques pour prendre l’avantage face à l’adversaire, ou le conserver. Ce sont les manœuvres et elles sont essentiellement utilisées dans la phase que Joachim Meyer appelle le Milieu du combat.
Distance et liage
Joachim Meyer est le premier dans la tradition liechtenauerienne à décrire les différentes distances qui existent dans le combat. Il en définit ainsi trois :
Ainsi, si vous vous rapprochez de l’adversaire au point de pouvoir lier le faible de son arme avec le faible de votre épée, vous devrez utiliser des estocs ainsi que des frappes sans détours, soit en le trompant, soit en ramenant votre arme vers vous afin de donner une autre attaque. Même s’il essaye de profiter du moment où vous tournez votre arme pour attaquer vos ouvertures, il ne pourra pas courir vers vous car vous serez préparé à le contrer avec l’une des attaques en préparation, plus vite qu’il ne pourra jamais l’être.
Mais si la distance qui se trouve entre vous et l’adversaire permet aux lames d’être liées en leur milieu, alors vous ne devez pas frapper amplement, ni quitter sa lame sans une raison bien spécifique. Car dès que vous quitterez sa lame, il pourra vous poursuivre. C’est pour cela que vous devez connaître les pièces à réaliser en restant contre sa lame. S’il quitte le fer pour frapper ou se découvre tout seul, soyez certain, à votre tour, de pouvoir le poursuivre.
Enfin, si vous êtes encore plus proches et que les milieux de vos armes sont liés, alors soyez prompt à l’agripper, à lutter, à l’attraper, parce que vous n’aurez alors pas d’autre choix, à moins d’effectuer une retraite pour vous éloigner de lui.
En fonction de comment sont liées les épées, les actions à réaliser ne seront pas les mêmes. Si les épées sont liées par le faible, car l’attaquant a attaqué de trop loin, ou que le défenseur a envoyé son arme très en avant dans la parade, alors on peut enchaîner les frappes comme vu précédemment.
Par contre, une fois lié au milieu, il faut rester à l’épée et agir en fonction de ce que l’on ressent au fer. Il y en général deux cas de figure : l’adversaire reste au fer et il faudra jouer avec les rotations, le faible et le fort pour l’atteindre, ou bien l’adversaire part du liage et il faudra le poursuivre avec les entailles.
Les manœuvres
Ce que Joachim Meyer appelle les manœuvres (entre autres), ce sont les actions qui vont être réalisées lorsque les adversaires seront à portée d’attaque dans la phase du Milieu. Comme on l’a vu juste au-dessus, le liage des épée impose des choix techniques. On trouvera donc des manœuvres correspondant aux différents types de distance et de liage.
Dans le chapitre 5, après avoir introduit les parades, Joachim Meyer décrit un certain nombre de manœuvres, 28 en tout. Je vais mettre en avant celles qui me semblent les plus importantes, au regard des actions qui seront intégrées dans les pièces de la deuxième partie du livre sur l’épée longue.
Frapper de l’autre côté
Lorsque tu as lié depuis ta droite contre sa gauche, et que tu quittes ce liage pour retourner frapper ou donner une touchette de l’autre côté, cela s’appelle frapper de l’autre côté avec l’épée.
Toutes les manœuvres ne sont pas des gestes spécifiques : ici un nom est seulement donné au fait de frapper un côté puis l’autre.
Laisser voler [l’épée]
Cela doit se faire ainsi : lorsque tu frappes les ouvertures de ton adversaire dans l’Approche ou au Milieu de l’ouvrage, et qu’il se dirige à ton encontre pour attraper ton coup en l’air, alors ne laisse pas sa lame entrer en contact avec ton épée, et ramène ce coup au loin d’un seul mouvement, vers une autre ouverture. Cette manœuvre est très utile contre ceux qui poursuivent uniquement ton épée et ne cherchent pas à atteindre le corps.
Cette manœuvre décrit un geste identique à la précédente, la différence étant que l’on change la direction de l’arme avant le contact des lames.
Le Cercle
Quand tu te tiens devant ton adversaire dans le liage et que chacun de vous a son épée en l’air au-dessus de sa tête, mais qu’aucun ne veut se découvrir avant l’autre, alors le Cercle est un ouvrage très utile. Tu dois le faire ainsi :
Frappe d’en haut avec le court tranchant et les mains croisées à côté de son côté droit, de sorte que tes mains restent au-dessus de ta tête. En frappant, croise bien ta main droite au-dessus de la gauche, de façon à ce que tu puisses bien atteindre ou érafler son oreille droite avec le court tranchant. Cependant s’il poursuit ton épée vers le bas avec ses bras, alors marche avec ton pied droit bien sur son côté droit ou en arrière, et envoie un coup crânien droit vers sa tête.
Le Cercle est une frappe rasante qui décrit un cercle sur le côté de l’adversaire. Pour le réaliser à gauche comme à droite, il faut tourner le court tranchant vers l’extérieur et laisser plonger la lame vers le bas. Cette manœuvre sert de leurre pour que l’adversaire baisse son arme et découvre sa tête. Le nom est évidemment en lien avec la trajectoire circulaire décrite par l’arme.
Laisser courir [la lame]
Dans l’approche, positionne-toi dans la garde de la colère à droite. Sitôt que tu peux l’atteindre, alors marche et frappe à son oreille gauche vers son épée, mais avant que les épées ne se lient, lève le pommeau et laisse la lame courir sur son côté gauche sans toucher et ramène-la autour de ta tête, puis frappe-le vers la tête de l’autre côté, à l’extérieur, par-dessus son bras droit.
C’est le plus souvent une technique qui sert à tromper l’adversaire. Comme toutes les feintes, il ne faut la réaliser que lorsque l’on voit l’adversaire parer, et pas avant.
“Laisser courir la lame” et “laisser voler l’épée” sont deux mouvements différents destinés à faire changer l’épée de trajectoire avant de rentrer en contact avec l’adversaire. Avec le premier, l’épée va décrire un mouvement circulaire sur le côté dans un plan vertical, alors que dans le second, elle va être ramenée de l’autre côté en faisant un arc de cercle selonun plan horizontal.
Dans l’absolu, le mouvement effectué pour faire le Cercle est le même que celui fait pour “laisser courir la lame”.
La Boucle
Il y a deux sortes de boucles, la simple et la double. La boucle simple c’est lorsque tu ramènes avec élan ton épée au-dessus de ta tête depuis la lame ou l’ouverture de ton adversaire, et que tu la laisses voler en l’air autour [de ta tête], de sorte qu’elle décrive un cercle.
La double boucle c’est lorsque tu ramènes la lame loin de son épée tellement fort, qu’elle tourne deux fois autour de ta tête dans un mouvement continu, une fois de chaque côté. Ces boucles, la simple et la double, sont également très utiles pour tromper, comme tu le verras et l’apprendras plus à fond dans la section sur les pièces.
Il y a peu de chose à dire sur la boucle simple, si ce n’est que l’on va plutôt réaliser des coups médians depuis cette manœuvre. La boucle double en revanche va être utilisée pour dégager la lame adverse et frapper deux fois du même côté : une fois pour écarter l’épée, une seconde fois pour toucher.
Ces trois manœuvres : le Cercle, la Boucle et le fait de laisser courir la lame, sont trois variations d’un même mouvement, qui peuvent être enchaînées pour toucher, feinter ou armer une frappe, comme le montre la pièce suivante :
Garde du Jour, pièce 5
Dans l’approche, quand tu viens dans la garde du jour ou la garde haute, alors laisse ta lame plonger devant toi, vers le bas et ton côté gauche, comme précédemment, et ramène-la autour de ta tête. Marche et envoie un coup médian horizontal avec le long tranchant contre sa gauche, vers son cou ou sa tempe. Aussitôt que cela touche, ramène [l’épée] autour de ta tête et donne un second coup médian horizontal, depuis ta gauche vers sa droite, également vers son cou. Aussitôt que cela s’entrechoque, frappe en troisième avec un coup de haut du long tranchant directement depuis le haut. Ces trois frappes doivent être réalisées rapidement en un seul mouvement les unes après les autres.
Si tu veux plus d’espace, alors lève ton pommeau vers ton côté gauche, ramène [ton épée] autour de ta tête et dégage [sa lame] avec le plat ou le court tranchant, dans un arraché sur ton côté gauche, d’en bas, vers ta droite et en passant par sa droite, de sorte que ta lame revienne en l’air autour [de ta tête], puis frappe de haut en bas avec le court tranchant et les mains croisées à côté de son oreille droite sans toucher. Cependant si tu peux l’atteindre avec le court tranchant pendant que tu laisses courir [ta lame], alors laisse-la toucher. Envoie ensuite un puissant coup furieux à son côté gauche puis frappe loin de lui [en reculant].
Lorsque ces manœuvres sont employées dans les pièces, elles le sont sont souvent sans être nommées. Analysons cette pièce, et retrouvons les concepts vu au-dessus :
La première partie montre trois coups enchaînés, les uns à la suite des autres. Le passage d’une frappe à l’autre se fait en faisant décrire un grand arc de cercle à l’épée, en la “ramenant autour de la tête”. C’est ce que décrit la manœuvre “frapper de l’autre côté”. On notera également que la première frappe est armée en faisant tourner l’épée au-dessus de la tête.
Dans la seconde partie de la pièce, on retrouve la Boucle et le Cercle. Elle commence par une Boucle double : un premier coup pour dégager la lame adverse de gauche à droite, un second qui se dirige vers la droite de l’adversaire après avoir laissé l’arme tourné au dessus de la tête. Avec toutefois une petite différence : en croisant les mains sur la seconde frappe, on se met en position pour effectuer un Cercle sur le côté gauche. Avec cela on peut toucher ou feinter l’adversaire selon l’opportunité offerte.
Le Cercle, la Boucle, le fait de laisser sont épée courir sur le côté et d’une ouverture à l’autre… Ces manœuvres donnent ce côté circulaire et tournoyant à l’escrime de Joachim Meyer. Il faut cependant faire attention : pour beaucoup d’entre elles, cela implique de quitter le liage. En référence à ce qui a été dit à propos des distance, il faut donc être vigilant aux tentatives de poursuite de l’adversaire, et savoir quand il est possible d’enchaîner les frappes ainsi, ou pas.
Lier, rester et sentir
Lorsque les épées entrent en contact l’une avec l’autre, cela s’appelle [“lier”].
Il y a deux façons de “rester”. Le premier c’est lorsque les épées sont maintenues l’une contre l’autre, pour voir ce que l’adversaire va faire et où il voudra assaillir son opposant. La seconde façon arrive avec les frappes : c’est lorsque tu te tiens comme si tu ramenais [ton arme] pour préparer un coup, mais que tu reviens simplement avec une touchette du court tranchant, là où tu as précédemment frappé avec le long tranchant.
Retiens maintenant ceci : le mot “sentir” signifie tester ou ressentir. Avec cela tu pourras savoir s’il est ferme ou mou avec le liage des épées.
Le fait de rester au fer est un impératif lorsque les épées sont liées en leur milieu. On ne peut donc pas quitter le liage sans prendre le risque d’être poursuivi par l’adversaire. C’est par le contact des épées que l’on peut sentir ce que fait l’adversaire, notamment s’il pousse ou s’il quitte le liage.
Les rotations
Cette manœuvre doit s’effectuer ainsi : lorsque tu as lié l’épée de ton adversaire depuis ta droite contre sa gauche, alors reste fermement dans le liage et tourne le faible de ta lame vers l’intérieur, vers sa tête, puis tourne à nouveau [ton épée] vers l’extérieur, tout en restant toujours fermement à son épée dans le liage. Tu peux voir cela dans l’exemple suivant :
Si l’adversaire te frappe depuis le Jour, alors lie son épée depuis ta droite avec un coup transversal. Dès que les épées s’entrechoquent, pousse le pommeau par-dessous ton bras droit et tourne ainsi le court tranchant vers l’intérieur, pour faire une touchette vers sa tête. Pendant ce temps, reste fermement à son épée avec l’entaille. S’il s’aperçoit de la touchette et qu’il pare, ou si tu sens qu’il va tomber de haut en bas, de l’épée à ton ouverture, alors renvoie le pommeau sous ton bras, vers le haut et vers ta gauche, puis frappe à nouveau du court tranchant avec le coup transversal vers son oreille gauche.
C’est avec les rotations que l’escrime de Joachim Meyer se différentie le plus des textes plus anciens de la tradition de Liechtenauer. Dans ceux-ci les rotations vont principalement servir à placer un estoc à l’adversaire, ce qui n’est plus permis dans le contexte du Discours détaillé de l’art de l’escrime. De fait une fois au fer, le but sera essentiellement de tourner le faux tranchant vers la tête de l’adversaire et de revenir au fer avec le vrai tranchant pour se couvrir, ce qui revient à doubler la frappe. Le corollaire c’est aussi que certaines rotations utilisées auparavant, comme les mutations, deviennent obsolètes dans ce système.
Doubler
Doubler, c’est faire un coup ou une pièce deux fois de cette manière : Donne un premier coup depuis ta droite vers son oreille gauche. Aussitôt que les épées s’entrechoquent, pousse ton pommeau par-dessous ton bras droit, et monte simultanément avec tes deux bras et frappe avec le court tranchant derrière sa lame, vers sa tête.
Cette manœuvre est appelée “doubler”, parce qu’avec elle on double ou réalise deux fois un coup, d’abord avec le long tranchant, puis avec le court tranchant.
Le doublement est un cas particulier de rotation : il présente un concept en particulier, celui de frapper deux fois au même endroit avec les deux tranchants de l’épée.
Rotation par-dessous [avec le pommeau]
Lorsque tu as lié avec un coup transversal et que tu as tourné le court tranchant à l’intérieur vers la tête de ton adversaire, comme cela a été dit avant, alors dans le même temps marche avec ton pied droit entre lui et toi, vers le côté droit de ton adversaire, et tourne simultanément ta poignée par-dessous sa lame vers ton côté gauche, puis va avec ton pommeau à l’extérieur par-dessus son bras droit. Recule avec le pied droit et arrache simultanément vers le bas sur ton côté droit, et frappe-le avec le long tranchant sur la tête. Ainsi tu n’as pas seulement tourné par-dessous, mais tu as également saisi par-dessus avec le pommeau.
Lorsque l’on est au liage, il est possible de passer de l’autre côté de l’arme adversaire en enroulant avec le pommeau. Tout comme pour les rotations, l’épée reste au contact de celle de l’adversaire dans cette manœuvre. Après être passé de l’autre côté avec le pommeau il est possible de frapper, ou de venir arracher l’épée adverse.
Cette manœuvre se retrouve dans d’autres armes comme le bâton ou la pique.
Les diverses rotations sont des manœuvres à employer lorsque les épées sont liées par leur milieu, et qu’il est donc mal avisé de quitter le contact pour armer une nouvelle frappe. Grâce à elles, il est possible d’attaquer l’adversaire de part et d’autre de son épée tout en restant au fer. Cette pièce issue de la troisième partie de l’épée longue, montre comment ces différentes actions peuvent être menées dans un enchaînement plus complexe :
Comment tu dois correctement mener les suspensions intérieures et les rotation supérieurs dans l’ouvrage
Dans l’approche, envoie un puissant coup de haut à son oreille gauche et lorsque vos coups s’entrechoquent ou entrent en contact sur son épée, alors pousse encore une fois le pommeau de ton épée sous ton bras droit et suspends ainsi la pointe avec les bras croisés bien derrière sa lame, à l’intérieur vers sa tête.
Ou bien, après avoir tourné d’en haut vers l’intérieur, alors suspends ta lame bien par-dessus ses deux bras et arrache avec ton épée vers ton côté gauche. Mais pendant cette rotation vers l’intérieur, dès que tu ressens qu’il s’apprête à se précipiter de haut en bas sur ton ouverture, alors ramène le pommeau de ton épée, avec cela va vers le haut, et suspends de nouveau le court tranchant à l’extérieur vers sa tête. S’il le pare, alors tourne rapidement par-dessous avec ton pommeau, puis de l’extérieur vers l’intérieur par-dessus ses bras. Arrache ainsi encore une fois en bas vers toi.
Ou bien, attrape-le par l’intérieur entre ses bras, en saisissant l’un d’eux à l’intérieur avec ton pommeau, puis arrache à nouveau vers toi.
Arracher
Si tu le lies depuis ta droite, alors renverse ton épée dans le liage et arrache contre ton côté gauche, de sorte à rester tous les deux proches dans le liage. Essaye alors de venir entre ses bras d’en dessous avec ton pommeau et arrache vers le haut. Ou bien, si tu l’as saisi d’en haut, par-dessus les bras avec ton pommeau, ou tourné de n’importe quelle façon, alors arrache vers le bas, comme tu l’entendras plus longuement après dans la section sur les pièces.
“Arracher” est un terme générique qui désigne le fait de déplacer le corps ou l’arme de l’adversaire avec force. Souvent on le voit associé aux prises avec le pommeau, mais aussi avec les coups de dessous du faux tranchant. Il est également possible de dégager l’épée adverse depuis le liage en utilisant le fort pour découvrir l’adversaire :
Garde de la colère, pièce 2 :
Si tu te tiens dans la garde de la colère à droite et que ton adversaire frappe depuis sa droite contre ta gauche, alors glisse [ton épée] par-dessus ta tête, sous sa lame et attrape son coup sur le plat en avançant avec ton pied droit, de manière à ce que ton pouce se trouve en dessous et que la lame pende vers le bas et ta gauche, quelque peu vers le sol. Lorsque [les lames] s’entrechoquent, alors marche avec ton pied gauche vers son côté droit et tourne le court tranchant sous son épée à l’intérieur vers sa tête, comme le montre la petite scène centrale de l’image L.

Quand tu as tourné, alors maintiens ton épée à la sienne avec le court tranchant et arrache avec ton épée vers le haut sur ta droite, comme le montre les petits personnages au milieu de l’image F.

De cette façon, à la fin de l’arraché, tu croises tes mains en l’air et tu frappes avec le plat intérieur à son ouverture inférieure droite, de telle façon que tes mains restent hautes. Sitôt qu’il suit pour parer, alors ne le laisse pas aller au contact, et ramène plutôt [ton épée] loin vers le haut et envoie un coup choqué à son oreille gauche. Dans cette frappe laisse aller la lame profondément avec l’élan, avec la paume opposée à lui et combats ainsi rapidement loin de lui.
L’entaille
Tu dois exécuter l’entaille ainsi : une fois que tu as attrapé l’épée adverse avec le liage, tu dois y rester pour ressentir s’il a l’intention de quitter le liage ou de frapper alentour. Dès qu’il frappe alentour, poursuis-le avec le long tranchant sur ses bras et pousse-le loin de toi avec le fort de ton épée ou le bouclier, laisse ensuite ton épée filer et frappe à l’ouverture la plus proche avant qu’il ne puisse se rétablir.
L’entaille est une manœuvre essentielle de l’escrime de Joachim Meyer. C’est l’action de venir contrôler ou pousser l’arme ou le corps de l’adversaire avec le fort de l’épée. Dans les textes plus anciens c’est l’un des trois vulnérants, avec la taille et l’estoc.
Chez Joachim Meyer, l’entaille s’emploie surtout pour poursuivre l’adversaire lorsque que les épées sont liées en leurs milieux et qu’il quitte le fer. C’est un principe fondamental de l’escrime, et une bonne règle à observer dès que l’on arrive au fer.
Le presse-main
Le presse-mains ressemble énormément aux entailles aux bras, dont j’ai déjà parlé plus haut, car ils sont toujours exécutés comme les entailles inférieures et supérieures. Par exemple, si un adversaire te déborde avec des coups lourdauds, alors va sous sa frappe avec la couronne, ou bien avec une parade haute, ou va par-dessous avec une suspension, et attrape son épée sur le plat de ta lame. Lorsque tu viens ainsi sous son épée, s’il part de ton arme avec sa frappe, alors veille à le poursuivre avec le fort de ton épée et à tomber avec ton bouclier devant ses poings, de façon à attraper les deux avec le fort de ta lame. Pousse-le vers le haut loin de toi avec le bouclier et frappe loin vers l’ouverture.
Les actions au corps à corps peuvent manquer de subtilité. L’entaille et ses variations, comme le presse main, ne servent pas qu’à contrôler l’adversaire, et peuvent aussi servir à le pousser violemment, juste pour le déstabiliser et se faire de place.
Ces manœuvres sont surtout utilisées lorsque les épées sont liées au niveau du fort. Il ne s’agit pas encore de rentrer en lutte avec l’adversaire, mais bien de garder l’avantage en toute circonstance, quelque soit la distance. C’est l’objet de la première pièce garde de la colère, qui s’attarde sur l’utilisation de l’entaille :
Garde le de colère, pièce 1
Dans l’Approche, si tu viens dans la garde de la colère, alors dès que tu peux l’atteindre, marche et frappe vers son oreille gauche avec un coup furieux rapide dont il devra se défendre. Ensuite, frappe rapidement à l’opposé avec un coup de bas vers son ouverture inférieure droite, ainsi tu l’as assailli. Pendant ce temps, avant qu’il ne se remette à œuvrer et qu’il ne ramène ses bras pour une frappe, tombe avec ton épée en dessous de ses bras et gêne ainsi sa course afin qu’il ne puisse pas œuvrer. Avant qu’il s’en rende compte, pousse-le loin de toi avec un geste soudain afin qu’il chancelle, comme s’il allait tomber. Dans le même temps frappe-le à l’ouverture la plus proche, que tu trouveras certainement.
Cependant s’il se rétablit et te frappe, alors reviens avec l’écarté ou l’entaille et tombe contre sa frappe sur la lame. S’il quitte de nouveau la lame, alors tu lui entailles à nouveau les bras. Toutefois, s’il reste à ton épée, alors dégage la sienne au loin sur le côté avec ton bouclier et laisse ton épée rapidement filer vers l’ouverture la plus proche. De là, reviens rapidement contre son épée. S’il ne laisse pas son épée être attrapée, alors suis-le avec ton épée sur ses bras afin de le soumettre à ta volonté.
Ainsi, dans toutes les pièces, tu dois aller de l’épée au corps et du corps à l’épée. Cependant, s’il ramène ou [fait] voler [son épée vers une autre ouverture], alors effectue toujours l’entaille pour t’aider. En effet, celui qui ne sais pas entailler sera également mauvais à l’escrime, mais si tu sais l’exécuter correctement alors tu le soumettras à ta volonté, à moins qu’il ne sache comment contrer l’entaille, toutefois tu en verras peu des comme ça. Celui qui n’exécute pas correctement l’entaille est facilement contré.
Pour conclure sur les manœuvres, voici la pièce du chapitre 9. Celle-ci présente un assaut complet typique de Joachim Meyer. Il est ainsi composé de trois parties : l’Approche, le Milieu et la Retraite. Dans chacune, différentes manœuvres sont employées :
Pièce du chapitre 9
Dans l’Approche, viens dans le changement à droite et surveille le moment où il ramène son épée vers le haut pour frapper. Frappe alors rapidement vers le haut en passant devant lui, et donne un coup transversal depuis ta droite en même-temps que lui. Dans la frappe, marche bien vers son côté gauche. S’il dirige sa frappe directement vers ta tête, alors tu vas le toucher avec le transversal à son oreille gauche. En revanche, si tu vois qu’il ne frappe pas directement à ta tête, mais qu’il détourne sa frappe et le long tranchant contre ton coup transversal pour parer, alors avant qu’il touche, frappe rapidement avec un long coup transversal à son oreille droite, et dans le même temps marche avec ton pied gauche bien vers sa droite. Ainsi, tu l’as assailli depuis le changement avec deux coups transversaux de chaque côté, chacun à l’opposé ; c’est ce qu’on trouve dans la première section de ce traité.
Après cette Approche, si tu veux continuer dans l’ouvrage médian, alors la deuxième section va t’aider. S’il frappe vers l’autre côté [en quittant] ton épée, alors poursuis-le avec une entaille sur ses bras. Pousse-le loin de toi avec le fort de ta lame ou en le percutant avec le bouclier. Pendant qu’il est encore chancelant à cause de la poussée et qu’il ne s’est pas encore rétabli, alors monte rapidement avec les bras croisés et frappe avec le court tranchant vers sa tête, par-dessus son bras droit. Fais cela, comme je viens de le dire, avant qu’il ne se remette de la poussée. Mais s’il se rétablit et monte pour parer, alors laisse ton épée voler au loin et envoie un coup transversal à son oreille gauche, en reculant ton pied gauche.
Ou bien, s’il ne quitte pas [le fer], ni ne frappe [de l’autre côté], alors reste avec l’entaille ou le long tranchant contre lui, puis renverse ton épée de façon à ce que ton court tranchant se retrouve sur le sien. Arrache alors son épée sur ton côté droit puis laisse ton arme revenir en l’air, de sorte que tes mains se croisent de nouveau en haut au-dessus de ta tête ; et frappe aussitôt avec le court tranchant vers sa tête, comme précédemment, avant qu’il ne se remette de l’arracher. Recule ensuite avec ton pied gauche et envoie un coup médian horizontal avec le long tranchant depuis ta droite vers son cou, et dès que [les lames] s’entrechoquent, éloigne-toi sur sa droite avec des coups de haut.
On note qu’au début de la pièce, on est en réaction face à un adversaire qui attaque du dessus. Le texte précise aussi qu’il ne frappe pas directement, mais qu’il “monte son épée” avant de donner le coup.
La pièce commence avec un coup transversal armé depuis le changement. L’épée monte du changement à droite jusque dans la colère à gauche, où elle passe au-dessus de la tête pour effectuer le coup transversal vers l’oreille gauche de l’adversaire. Bien que ces deux actions soit amples, la frappe montante et le coup transversal devraient pouvoir être faites dans le temps où l’adversaire monte son épée et frappe.
Ici il peut se passer deux choses : soit l’adversaire a lancé son attaque, soit il s’est défendu du coup transversal. Dans le premier cas, le coup transversal agit comme le coup de maître de l’escrime liechentauerienne classique, et permet de faire une parade riposte simultanée. Dans le second cas, l’adversaire poursuit l’épée pour parer : on peut donc sans risque stopper notre attaque, repartir vers une autre ouverture et ainsi faire un second coup transversal vers son oreille droite.
Dans cette Approche, on commence dans l’Après, puis on reprend l’Avant, soit grâce au coup transversal, soit grâce à la feinte si l’adversaire préfère parer. Tactiquement, employer le coup transversal donne un certain avantage. En lançant cette attaque en particulier, on peut se permettre de ne pas tenir compte des actions de l’adversaire : si celui-ci attaque, sa frappe sera stoppée par le transversal et il sera touché ; si il se défend, il rendra de fait l’initiative, et sera à la merci des feintes. Le coup transversal peut donc être envoyé avec une certaine confiance.
Une fois l’Approche terminée, il peut se passer deux choses : soit l’adversaire tente de reprendre l’Avant en quittant le fer directement après la parade, soit il reste dans le liage.
Dans le premier cas l’adversaire quitte le liage pour frapper ailleurs. Le coup transversal étant une frappe courte, les épées devraient sûrement être liées en leur milieu durant la parade. C’est donc un erreur que commet l’adversaire en quittant le fer. La réponse apportée est de venir le pousser violemment avec l’entaille dans les bras. Le but de cette entaille est de repousser l’adversaire loin de soi, et pas juste de le gêner dans sa frappe. On conserve ainsi l’Avant, ce qui permet d’enchaîner avec un coup transversal à gauche, puis éventuellement à droite si l’adversaire à le temps de parer le premier.
Mais si l’adversaire reste au liage, il faut alors tenter de conserver l’avantage avec des manœuvres adéquates, et avant que l’adversaire n’agisse. Ici, le choix est fait “d’arracher” l’épée de l’adversaire, en la poussant avec force vers la droite depuis le liage. Cela permet de se faire de la place pour frapper l’oreille droite l’adversaire avec le faux tranchant. “L’arraché” et cette frappe peuvent se faire de façon très fluide l’un après l’autre.
La retraite se fait ensuite en reculant et en envoyant des frappes pour se défendre des éventuelles attaques de l’adversaire.
Les manœuvres sont les éléments essentiels de l’escrime de Joachim Meyer. On les retrouve, nommées ou non, dans toutes les pièces de l’ouvrage. Chaque manœuvre définit un concept technique indispensable pour comprendre le “style” de Joachim Meyer.
Les manœuvres qui s’effectuent lorsque l’on est dans une distance large avec l’adversaire mettent plutôt l’accent sur des mouvement amples et circulaires, avec des changements de directions nécessitant de faire des grand arc de cercle en ramenant sont épée en arrière ou au contraire en faisant tourner son épée dans un mouvement continu autour de la tête.
Cela ne se fait plus, une fois que les épées sont entrées dans le liage. Quitter le fer devient alors une erreur et il faut agir avec les rotations ou les entailles pour garder l’avantage face à l’adversaire.
Une fois les manœuvres comprises, il est plus facile d’analyser la manière dont sont menées les pièces. Il ainsi possible de construire son propre jeu selon les principes enseigné par Joachim Meyer.
L’épée longue de Joachim Meyer en bref :