Aujourd’hui nous allons encore parler de bâton. Attachez votre plus belle fraise et relevez bien votre moustache, car nous allons aborder le fort sympathique traité des “Petits Gros” !
Ce que l’on a appelle le traité des “Petits Gros” est un manuscrit allemand anonyme de la fin du 16e siècle. Il est intitulé «Das Ander Theil Des Newen Kůnstreichen Fechtbůches» , ce qui peut se traduire par «La seconde partie du nouvel et artistique livre de combat» et aurait été réalisé en 1591. S’il y avait effectivement une première partie, aucune trace n’en a été encore retrouvée. Le surnom de l’ouvrage vient de ses illustrations, qui mettent en scène des personnages plutôt petits, aux corps potelés et musculeux. Ces mêmes dessins sont également remarquables par les blessures sanglantes que reçoivent les combattants. Le manuscrit traite d’une multitude d’armes liées à la tradition allemande : épée longue, dussack, dague, lutte, bâton et hallebarde. Cependant il ne semble pas y avoir de lien avec l’escrime de Liechtenauer.

Le bâton du manuscrit des “Petits Gros” est le dernier traité allemand parlant du combat au bâton contre un adversaire unique. Cette tradition allemande de bâton remonte assez loin : la première source technique sur cette arme apparaît au côté de l’épée longue dans le MS.3227a, qui peut être daté de la première moitié du 15e siècle. Entre ces deux textes, de nombreux autres ont également abordé le bâton, comme j’ai pu l’aborder dans un précédent billet.
La partie sur le bâton se compose de 31 courtes pièces, chacune agrémentée d’une illustration. L’objectif de ce billet n’est pas de commenter chaque pièce, mais de faire la synthèse de ce que propose le manuscrit sur l’enseignement du bâton. Dans toute escrime, on retrouve une base commune d’action, comme les attaques, les défenses ou les déplacements. Les “Petits Gros” n’échappent pas à la règle et l’on va essayer d’en faire ressortir les principaux points. Vous pouvez trouvez ma traduction du texte ici, que je vous conseille de lire avant, ou d’avoir sous les yeux pendant votre lecture.
Tenue du bâton
Les textes des différentes pièces sont très succincts, et les illustrations fournissent un certain nombre d’informations. On peut ainsi voir les différentes manières de tenir l’arme. En règle générale, la main gauche est devant et la main droite derrière, les deux mains sont en arrière sur le bâton, et le pied gauche est avancé. Les pouces se font face, sauf dans le cas des frappes à deux mains, où ils sont tous les deux tournés vers l’avant. Lors des estocs à deux mains, on remarque que les mains sont beaucoup plus écartées sur le bâton. Enfin, il est possible de tenir l’arme avec les deux mains au milieu, ce qui est appelé “demi-bâton” dans d’autres sources.

Lorsque le bâton est tenu de la façon la plus commune, on appellera “extérieur” ce qui se trouve à droite du bâton, et “intérieur” ce qui se trouve à gauche. Frapper l’adversaire vers l’extérieur revient à l’attaquer depuis la droite, et inversement, le frapper depuis la gauche c’est le frapper vers l’intérieur, ce qui est aussi appelé un revers dans le texte. Cette notion intérieur/extérieur permet aussi de décrire le liage.
Frappes
Comme dans la plupart des autres textes, le bâton est utilisé pour frapper et pour estoquer. Toutes les attaques peuvent se faire à deux mains ou à une main.
Les frappes à deux mains se font avec les deux mains tournées, vers l’avant, et le bâton est ainsi saisi à la manière d’une épée. On constate que celles-ci sont peu écartées, et l’arme est tenue près du talon, ce qui maximise la portée des coups. De plus, dans la plupart de ces pièces, cette frappe à deux mains est accompagnée d’un grand pas. On peut attaquer par la droite, par la gauche, ou à la verticale. La cible principale est la tête, mais la jambe avancée peut aussi être visée, selon l’opportunité. Enfin, et bien que rien de concret dans le texte ne permette de l’affirmer, les frappes sont sûrement envoyées autour de la tête, avec une grande amplitude.

Les coups peuvent aussi être donnés d’une seule main. Dans ces cas là, le bâton n’est plus tenu que par la main droite, ce qui en fait une attaque d’une très grand allonge. Là encore il peuvent être donnés verticalement, en revers ou en maindroit. Les frappes à une main peuvent aussi se faire avec une volte, pour frapper en se retournant.

Estocs
L’estoc est une manière d’attaquer un peu plus présente que la frappe, mais l’utilisation de l’un ou de l’autre reste assez équilibrée. Les estocs peuvent eux aussi être de différentes manières, à une ou deux mains, avec la pointe avant ou la pointe arrière. Comme pour les frappes, c’est la tête qui sera la cible de la plupart des attaques.
Les estocs à deux mains se font de deux manières : vers le bas et vers le haut, dans des postures qui rappellent les suspensions hautes et basses à l’épée longue. Les illustrations montrent que les mains sont assez écartées, la main avant allant bien plus loin sur le bâton. A cause de cela on peut en déduire que les estocs à deux mains ne sont pas poussés comme un coup de billard. On note aussi que les pouces se font face, contrairement aux frappes à deux mains.

Les estocs à une mains se font en envoyant la pointe avant vers le visage avec la main droite. En l’accompagnant d’un grand pas en avant, l’estoc gagne une portée maximale. Ces estocs visant le visage, la main droite est donc assez haute.

Enfin il est possible d’estoquer avec la pointe arrière, qui est aussi appelée pointe “raccourcie”. Généralement cela se se fait après avoir saisi son arme en demi-bâton avec les deux mains au milieu. Dans cette configuration symétrique, il est alors plus facilement possible de frapper avec l’un ou l’autre des bouts du bâton. Lorsque l’on veut frapper avec la pointe arrière, on accompagne la frappe avec le côté droit pour que l’estoc ne soit pas trop court.

Défenses
Le texte pêche énormément quand il s’agit de décrire comment se protéger avec le bâton car les parades ne sont pas, ou peu, décrites. Pour en parler, les pièces indiquent de venir à l’encontre de la frappe adverse avec son bâton ou de se jeter en avant (“verfallen“) sous le bâton adverse. Les illustrations sont pour une fois faibles en informations additionnelles : on ne voit aucune actions défensives réussies, et les rares personnages qui en font parent dans le demi-bâton.

Malgré ce peu d’indications, il n’est pas extravagant d’envisager parer avec toutes les parties du bâton. A distance normale, on pare avec la pointe avant. Cependant si le coup est très vertical ou horizontal, on peut venir se protéger avec la couronne (c’est-à-dire le bâton tenue horizontalement au-dessus de la tête) ou le demi-bâton. Des dégagements avec la pointe arrière sont également présentés, ce qui permet de les inclure dans les manœuvres défensives possibles.
Déplacements
Tout comme pour les parades, l’auteur ne s’attarde pas extensivement sur ce que font les jambes et les pieds. On note cependant deux déplacements remarquables dans cette partie sur le bâton, et qui concernent les manœuvres à une main.
Le premier est un déplacement latéral servant à envoyer un estoc à une main et permettant d’esquiver avec le corps. Au cours de cette marche, les jambes vont se croiser et l’on présentera presque le dos à l’adversaire. Aucun terme n’est donné pour cette action, mais dans la forme, elle se rapproche fortement de l’incartade que l’on trouve dans l’épée à une main de la même période, notamment celle du Capitaine Péloquin.

Le second déplacement est une volte complète, permettant de faire une frappe à une main retournée vers la gauche de l’adversaire. Contrairement à l’exemple précédent on tourne complètement le dos à l’adversaire pendant l’attaque, en pivotant sur la jambe droite. La frappe est armée autour de la tête, ce qui peut donner lieu à une attaque d’opportunité de l’adversaire, comme le montre la pièce 28.

Lutte
Comme avec toutes les armes, la lutte fait partie des techniques à employer dès que l’on se retrouve suffisamment proche de l’adversaire. On trouve des choses variées, comme des projections par dessus-la jambe, des désarmements avec la pointe du bâton, ou tout simplement la possibilité de venir écraser les doigts de son adversaire entre les deux armes. Toutes ses techniques de corps à corps se retrouvent quasi systématiquement dans les autres traités allemands de bâton.

Le traité des Petits Gros offre suffisamment de matière pour pouvoir étudier le bâton à partir de son seul texte. Bien qu’il soit assez inégal sur certains points, l’essentiel des problématiques du combat sont abordées. On regrettera toutefois une absence de contenu sur le travail au liage et concernant les feintes, qu’il faudra peut-être compléter par des connaissances extérieures. L’escrime qui s’en dégage permet malgré tout de se distinguer des autres sources de bâton du 16e siècle, ce qui continue de montrer la variété et la richesse du bâton allemand.