Le combat en armure chez Peter von Danzig

Dans ce petit billet, je vais aborder le combat en armure de la fin du moyen age à travers les gloses attribuées à Peter von Danzig. Il ne s’agit pas de livrer ici une interprétation des pièces, mais de mettre en lumière les mécaniques du combat en armure telles que présentées par le texte, sans considération d’autres éléments extérieurs. Les illustrations sont tirées des traités de Hans Talhoffer, Paulus Kal ou de Paulus Hector Mair. Elles ne correspondent donc pas exactement aux pièces, mais elles ont été choisies de façon à être cohérente avec les thèmes abordés.

Vous trouverez la traduction du combat en armure de Peter von Danzig dans la section travaux du site.

L’art du combat de la tradition de Liechtenauer est constitué de trois grands ensembles : le blossfechten ou combat sans armure, le rossfechten ou combat à cheval, et le harnishfechten ou combat à pied en armure. Dans ce dernier type de combat, appelé aussi « duel aux quatre pointes », les adversaires entrent dans les barrières avec une lance, une épée et une dague. Le combat en armure comporte plusieurs thématiques : le combat à pied contre un cavalier, le combat à la lance, le combat avec l’épée contre la lance, le combat à l’épée, deux types de luttes : les ordinaires et les luttes interdites, et enfin les techniques de maintien au sol.

Combat contre un cavalier

Le combat en armure est la suite directe du combat à cheval. Il commence dès que l’un des cavaliers met pied à terre pour combattre son adversaire, resté en selle. Les raisons qui amènent à cette situation peuvent être multiples : cela peut résulter d’une chute, ce qui peut arriver à n’importe quel moment du combat, mais cela peut être également une action volontaire, comme le suggère le texte. Si l’on se sent désavantagé à cheval par rapport à son adversaire, la tactique conseillée est de descendre de sa monture. Ainsi on se retrouve face à l’adversaire avec les trois armes à disposition : la lance, l’épée et la dague.

Face à un cavalier, il est préférable d’utiliser la lance : si le cavalier adverse a encore la sienne, on pourra faire jeu égal en termes de portée. Il sera ainsi plus aisé d’écarter la lance adverse et de lui placer la lance au visage ou à la poitrine. Par contre, si le cavalier a tiré l’épée, alors la lance va aussi servir à faire trébucher le cheval, ce qui ne manquera pas de faire chuter le cavalier. Le combat à pied peut alors véritablement commencer. J’ai parlé plus en détail de la manière d’affronter un cavalier à pied dans un autre billet.

Combattre à pied en armure

Le port de l’armure est la principale caractéristique de cette forme de combat à pied. Cette protection très complète que portent les combattants, les rend virtuellement invulnérable sur les parties armurée. Pour atteindre l’adversaire il faudra donc passer par les faiblesses de l’armure, ce que l’on appelle les ouvertures. Les principales sont la visière, les aisselles, l’articulation des coudes, la paume à l’intérieur des gantelets, et l’aine. La plupart de ces ouvertures sont protégées par de la maille. Pour atteindre correctement l’adversaire, il faudra alors forcer avec la pointe pour passer à travers cette couche de protection supplémentaire. Sinon il faudra amener l’adversaire au sol avec la lutte, le maîtriser et œuvrer avec la dague pour terminer le combat.

L’endurance est un facteur clé du combat en armure. Le texte précise bien que les mouvements doivent être économisé au maximum pour ne pas se fatiguer. Les déplacements sont succincts et se limitent à « un pas en avant » ou « un pas en arrière ». Cela semble décrire une manière de combattre assez statique.

Combat avec la lance

Le combat en amure à pied débute généralement avec un affrontement à la lance. Il y a deux postures, ou gardes, à la lance : la garde basse, où l’arrière de la lance est au niveau du flanc droit et la pointe vers le visage de l’adversaire, et la garde haute, qui se fait avec les mains au-dessus de la tête et la pointe vers la poitrine de l’adversaire. Ces deux gardes sont aussi appelées suspensions hautes et basses. La lance peut également être saisie de deux façon : en saisie courte, avec les mains vers le milieu de la hampe, ou saisie longue, avec les mains plutôt vers l’extrémité arrière de la hampe. Avec cette arme on va essayer d’estoquer l’adversaire aux ouvertures ou de la lui jeter au visage. La plupart des pièces avec la lance de font depuis la garde basse. Lorsque les lances entrent en contact suite a une parade, il faut rester au fer et chercher à placer la pointe vers les ouvertures de l’adversaire, en utilisant les rotations, les changements à travers, le rattrapage en fonction de ce que l’on ressent dans le liage. Lorsque la lance est jetée, il faut alors avancer vers l’adversaire et tirer l’épée. Si l’on a atteint l’adversaire avec sa pointe, mais que celui-ci se dégage de l’estoc, il faut alors l’assaillir avec la lutte. Le combat avec la lance a également fait l’objet d’un billet spécifique.

Combat avec l’épée contre la lance

Lorsque la lance a été jetée, il faut tirer son épée et avancer vers l’adversaire. Si celui-ci a gardé sa lance, alors deux cas de figures apparaissent, en fonction de comment celui-ci tient son arme. Si sa lance est saisie court, alors il faudra parer avec le devant de la lame, puis utiliser la pièce adéquate. Si sa lance est tenue long, alors la parade se fera avec la main gauche et l’on en profitera pour saisir la lance adverse. A partir de là on peut œuvrer avec l’épée tenue à une main ou la reprendre en demie-épée. Dans tous les cas, si les placements de pointe échouent, il ne faut pas hésiter à lâcher son épée et enchaîner avec la lutte.

Luttes ordinaires et luttes interdites

Les luttes sont une énorme composante du combat en armure. Le manque de visibilité, la difficulté d’atteindre l’adversaire, ainsi que la courte distance d’affrontement font que les luttes arriveront invariablement dans le combat à un moment donné. Elles sont classées en deux catégories : les luttes ordinaires et les luttes interdites. Les luttes ordinaires sont pour l’essentiel des projections de hanche, dont le but est de faire tomber l’adversaire au sol. Les luttes interdites regroupent les différentes clés articulaires, les percussions et tous les mouvements destinés à faire sévèrement mal à l’adversaire. Le but avoué de ces techniques est d’entraver l’adversaire et l’empêcher d’utiliser sa force. La plupart des luttes interdites sont des luttes aux bras qui vont briser le bras de son opposant au niveau du coude. Toutes ces luttes servent évidemment à amener l’adversaire au sol pour poursuivre le combat.

Epée contre épée

C’est la partie du combat en armure et dont le contenu est le plus vaste. Elle décrit les techniques pour vaincre un adversaire entièrement armuré avec sa seule épée longue. Le port de l’armure change ici complètement la donne en terme de mobilité et d’attaque par rapport au combat sans armure. Les combattants étant recouverts d’acier et de maille, les attaques classiques du blossfechten sont inadaptées, car l’armure protège efficacement des frappes, des estocs et des entailles. Cela rend donc les quatre ouvertures traditionnellement visées à l’épée longue obsolètes. Pour surmonter cette contrainte, il faut alors viser d’autres endroits, ceux laissés découverts par l’armure, comme la visière, les aisselles, la paume du gantelet, etc..

Cette contrainte sur les cibles à atteindre fait que seul l’estoc aura une utilité dans ce genre de combat. Cela conduit à prendre son épée dans une autre configuration. Dans le combat en armure l’épée est prise avec la main droite sur la poignée, et la main gauche sur le milieu de la lame. Ce qui est perdu en terme de portée est regagné en précision avec la pointe, et le nombres options offensives et défensives s’en retrouve alors augmenté car le pommeau est plus facilement utilisable. Cette manière de tenir l’arme s’appelle demie épée ou épée raccourcie.

Les gardes

Le combat en armure utilise un système de quatre gardes, comme le combat sans armure, mais au-delà de quelques similarités dans certaines postures, la logique n’est plus la même. Il y a deux gardes principales, haute et basse, qui sont le point de départ de la plupart des actions offensive comme défensive. L’épée y est tenue sur le côté droit, au niveau de la hanche ou de la tête, et la pointe est dirigée vers l’adversaire. On peut y voir une ressemblance avec le Bœuf et la Charrue de l’escrime sans armure, qui sont aussi les gardes d’où partent les estocs. La troisième garde se prend avec l’épée en travers du genou gauche. Les pièces associées à cette postures décrivent les différentes parades de la demie épée. La quatrième garde, qui se prend avec le pommeau sous l’aisselle droite, est la position à adopter lorsque l’on a placé la pointe dans une des ouvertures de l’adversaire, pour percer la protection de maille. On remarque également que toutes les gardes se prennent avec le pied gauche devant.

Les quatre gardes du combat en armure. De gauche à droite : les gardes 3, 2, 4 et 1

Les attaques

La plupart des attaques sont des estocs en demie épée, envoyés depuis la garde basse ou la garde haute. La majorité des attaques de première intention décrites chez Peter von Danzig sont des estocs à la visière, venant d’en haut ou d’en bas. On trouve aussi des estocs à l’aine direct. Les estocs sous l’aisselle ne sont jamais mentionnés explicitement, mais il n’y a pas non plus de raison de ne pas en faire. De plus, le texte de la quatrième garde et des placements de pointe montrent bien que l’épée va souvent finir à cet endroit à la suite d’une technique.

L’autre manière d’attaquer est d’utiliser l’épée comme un marteau, et de frapper avec le pommeau. L’arme est alors tenue par la lame avec les deux mains au-dessus de la tête, pour envoyer un puissant coup de haut en bas. Cela s’appelle la frappe meurtrière, ou mordschlag. C’est la seule manière de pouvoir blesser, ou tout du moins gêner, un adversaire en visant directement l’armure avec l’épée. Les cibles de frappes du pommeau sont la tête, et les membres avancés comme la main, le genou ou le pied. Mais si l’opportunité se fait sentir, on peut aussi frapper vers le coude ou l’épaule.

Les parades

Avec la tenue en demie épée, on peut utiliser chaque partie de l’arme pour se défendre. Ces trois partie sont : la portion de lame devant la main avant, la portion de lame entre les deux mains, et le pommeau. Néanmoins, la plupart des parades sont faites avec le devant de la lame : la pointe reste ainsi dirigée vers l’avant, ce qui rend plus facile la riposte. Il est également possible de parer de la gauche vers la droite avec le pommeau. Cela oblige parfois à passer sous l’attaque adverse avant de parer. En se défendant ainsi on se retrouve dans une bonne position pour crocheter la main de l’adversaire avec le pommeau. Enfin parer avec le milieu de la lame permet d’avoir le choix entre la pointe et le pommeau pour la riposte.

Les coups de pommeau se parent avec la partie avant de la lame, ou entre les mains, en fonction de la force avec laquelle ils sont donnés. Les coups les plus puissants sont attrapés sur le milieu de la lame, dans une posture que l’on retrouve dans de nombreux traités. Les frappes envoyées plus bas sont bloquées de manières spécifiques. Si le genou est visé, on attrapera le coup entre les deux main, avec l’épée à la verticale. Si l’adversaire envoie son attaque encore plus bas, vers la cheville, alors il faudra donner un coup de pommeau vers son coup, en ne tenant plus l’épée que de la main gauche.

Quelques techniques de combat en armure

En plus de ces éléments de base de combat, Peter von Danzig introduit un certaine nombre de techniques, dont la plupart servent à prendre l’avantage si l’adversaire pare les attaques, ou au contraire à le reprendre si l’on se trouve sur la défensive. Beaucoup de ces techniques retrouvent dans les autres traités de combat en armure, ce qui permet de les illustrer avec des dessins qui ne sont pas associés aux gloses de von Danzig.

Une technique qui revient régulièrement est l’estoc en passant par-dessus la main, ou über die hand durchstechen. On la trouve le plus souvent sous sa forme raccourcie durchstechen. Cette manœuvre permet de contrer tant les estocs de dessus que de dessous. Lorsque l’adversaire estoque, on vient passer sa pointe entre sa main avant et son épée, et on presse vers le bas avec la lame et le pommeau vers le sol. L’estoc est ainsi dévié, et on peut placer la pointe vers le côté droit de l’adversaire.

La prise en demie épée permet une utilisation plus fluide du pommeau. Il va être possible de frapper l’adversaire avec, mais très souvent il servira à effectuer des luttes pour amener son opposant au sol. Lorsque l’adversaire pare un estoc, et pousse la pointe vers sa droite, on peut facilement venir agir avec le pommeau. Un technique de lutte qui revient régulièrement est celle où l’on place son pied droit derrière le pied gauche de l’adversaire, et où l’on place le pommeau sur son épaule droite en passant devant son cou. Avec ce geste il est possible de renverser l’adversaire en arrière. Cette technique peut aussi se faire de l’autre côté, mais il faudra alors la réaliser en utilisant la pointe, et non le pommeau. Cette projection se rencontre particulièrement dans les textes de bâton, mais on la trouve aussi dans les gloses d’épée longue sans armure. C’est d’ailleurs l’une des rares occurrences du Blossfechten où le texte nous dit de passer en demie épée.

Si l’adversaire estoque d’en haut, plutôt que de parer, on peut venir estoquer dans la paume de sa main, qui n’est pas protégée par du métal. Si celle si est inaccessible, il est toujours possible de rentrer la pointe de l’épée dans la base du gantelet. Dans tous les cas, l’adversaire sera blessé à la main et n’aura d’autre choix que de le laisser guider. Cette technique est souvent utilisée pour emmener l’adversaire hors des lices. Une façon similaire de conduire son opposant hors des barrière et de lui casser un doigt, et de le retourner. Ces actions sont qualifiées de “secrètes”, ce qui peut signifier que ces “astuces” ne sont pas une évidence pour tous les combattants.

Les placements de pointe

L’armure protège son porteur. Il est bon de rappeler cette évidence pour souligner que le combat ne s’arrête pas au moment où l’un des deux adversaires réussit à “placer sa pointe” dans l’une des ouvertures de l’autre. De la maille est présente aux endroits ou l’armure ne recouvre pas le corps, à l’exception du visage. Pour réellement atteindre l’adversaire, il faut forcer l’épée à travers les anneaux. Le texte indique qu’à cette fin, il faut “venir dans la 4ème garde dans tous les placements de pointe”, c’est-à-dire venir placer l’épée sous l’aisselle, et pousser devant soit en prenant appui sur les quillons. On peut ainsi appliquer la quasi totalité de son poids sur la pointe de l’épée, ce qui ne manquera pas de faire céder la maille.

Il existe évidemment des techniques pour se libérer de l’épée adverse Il s’agit souvent des même techniques qui servent à contrer les attaques ennemies. Le première consiste à prendre la main avant de l’adversaire avec la sienne, et ainsi d’écarter sa pointe. Un variante consiste à faire la même chose, mais avec la pointe de l’épée dans le gantelet adverse. Il est aussi possible d’utiliser l’estoc passant par-dessus la main, qui permet aussi de riposter avec un estoc sous l’aisselle.

Dans le cas où les deux adversaires se seraient tous les deux placés la pointe, il existe des solutions pour se dégager tout en appuyant avec son épée. Dans cette configuration, les deux combattant on un position similaire, avec la jambe gauche devant et la pointe de l’épée sous l’épaule gauche de son opposant. Pour se sortir de cette situation de échec mutuel, il faut reculer le côté duquel l’adversaire pousse, tout en maintenant son épée en place. Cela permet de sortir de l’estoc adverse et de gagner l’avantage.

Combat au sol et utilisation de la dague

Le combat en armure se termine souvent par de la lutte au sol, ce qui est aussi l’occasion de sortir la dague. Selon Peter von Danzig, tant que l’adversaire est debout il peut se défendre très facilement de cette arme ; il faut donc l’utiliser une fois que celui-ci a été mis à terre et qu’il a été maîtrisé. Ceci est l’objet d’une dernière catégorie de luttes, qui sont appelées les maintiens au sol ou « unterhalten ». Ces techniques permettent d’immobiliser un adversaire au sol, grâce au placement judicieux du poids du corps et de l’utilisation différentes clé articulaire. L’opposant ainsi soumis peut alors être attaqué avec la dague, pour le tuer ou le forcer à se rendre.


Le combat en armure de Peter von Danzig est sûrement le meilleur texte pour commencer l’étude du combat en armure. En plus d’être complet dans les thématiques qu’il aborde, il ne se limite pas à être un catalogue technique, mais donne aussi des clefs pour comprendre les concepts du combat en armure. Les autres textes sur le sujet complètent celui de von Danzig de façon très cohérente, même si l’on trouve quelques petites différences d’opinion sur certaines situations (ex : l’utilisation de la dague debout). Le combat en armure est une discipline qui recouvre de nombreux domaines : escrime spécifique à l’épée et à la lance, lutte debout et au sol, etc… sans compter que tout ceci est conditionné par le port d’une armure de qualité et ajustée. Cela rend le combat en armure difficile à maîtriser dans sa totalité, mais donne à son son étude un attrait extraordinaire.

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