Désigner les frappes à l’épée longue chez Joachim Meyer

Pour parler des frappes à l’épée longue et avec les autres armes, Joachim Meyer utilise un vocabulaire bien spécifique. La compréhension du texte original est souvent nécessaire pour capter certaines informations, qui peuvent se perdre avec le passage dans une autre langue. Voici donc un article dans lequel seront étudiés les différents termes pour désigner les frappes chez Joachim Meyer.

Dans la tradition du combat allemand, on peut atteindre l’adversaire de trois manières : avec des frappes, avec des estocs, ou avec des entailles, qui sont respectivement nommées “Haw”, “Stich”, et “Schnit” en allemand. Joachim Meyer se réclamant de cette tradition, il reprend ces trois termes dans son traité.

Cependant lorsqu’il s’agit de parler des frappes, les choses se compliquent un peu. Si l’estoc et l’entaille sont chacun associés à un terme précis, ce n’est pas le cas des frappes. Joachim Meyer emploie différents verbes pour parler de l’action d’envoyer la lame de son épée sur l’adversaire : hauwen, schlagen, streichen, scnhellen avec leur variations.

Ces termes vont être passés en revue pour comprendre un peu plus leur signification au sein du texte, et également donner un éclairage sur certain choix de mots dans ma traduction du “Discours détaillé sur l’art du combat” de Joachim Meyer.

Hauwen et durchhauwen

Hauwen

“Hauwen” est le terme générique pour désigner l’action de frapper. Ce mot est connoté et indique que l’objet qui sert à donner la frappe est tranchant. Mais comme c’est un terme usuel des texte d’escrime, on le retrouvera employé avec des armes en bois ou sans tranchant, comme le dussack ou le bâton.

Je traduis indifféremment “Hauw” par “frappe” ou “coup”, “hauwen” par “frapper” ou “donner/envoyer un coup/une frappe”.

Dans la théorie du combat de Joachim Meyer, un coup commence et finit toujours dans une garde, en suivant une des quatre directions : verticale, diagonale, horizontale, ou diagonale montante. Les coups passent donc par trois gardes : une de départ, la Longue Pointe, et une d’arrivée. Ainsi, un coup vertical commencera dans une garde haute centrale, passera par la Longue pointe, et finira dans une garde basse centrale également.

Durchauwen

“Durchhauwen” a la même définition de “hauwen”. Mais le préfixe “durch-” indique “un passage”, “le franchissement d’une ligne” (vous m’excusez pour cette explication un peu naze). Ainsi dans l’allemand d’aujourd’hui, “durchhauwen” signifie “trancher de part en part”, et c’est bien l’idée qu’exprime son usage dans le texte. Lorsque Joachim Meyer utilise “durchhauwen”, il indique que sa frappe commence d’un côté et finit de l’autre. Ainsi une frappe démarrée dans la Colère à droite finira en général dans le Changement à gauche, si “durchhauwen” est utilisé. On retrouve plus facilement ce terme dans les parties concernant les armes à une main, mais on en a aussi des occurrences dans la partie sur l’épée longue.

Les exemples suivants montrent la tournure générale des phrases employant “durchhauwen”, et impliquant une frappe complète d’un côté à l’autre.

so hauw von deiner Lincken gegen deiner Rechten vor im durch

Hauwe von deiner Rechten uberzwerch zu seinem Lincken ohr / mit einem abtrit deines Lincken fusses / gantz durch

Ceci est à mettre en parallèle avec les cas où seul “hauwen” est utilisé, et dans lesquels le geste s’arrête à la cible désignée.

so hauwe […] einen gewaltigen Zornhauw von deiner Rechten schlims gegen seinem Lincken ohr

Cette différentiation entre “hauwen” et “durchhauwen” est difficile à rendre en traduction. Une traduction littérale du style “frapper à travers” est pour moi maladroite et fait peu de sens en français. Traduire par “frapper de part en part” est un peu lourd, et peut vite être redondant avec les informations spatiales fournies dans le texte, comme les postions de départ et d’arrivée de la frappe. Généralement, lorsque la phrase est construite de la manière “durch [cible] hauwen”, la traduction sera “frapper en passant par [la cible], pour rendre cette idée que l’on va plus loin que la cible désignée avec la frappe. Sinon, si le texte donne suffisamment d’information, “durchhauwen” sera simplement traduit de la même manière que “hauwen”

On trouve d’autres variations du verbe “hauwen” dans le texte, mais qui ne sont pas vraiment liées à une manière spécifique de frapper.

Nachhauwen

La construction de “nachhauwen” n’est pas sans rappeler celle de “nachreisen”. Ce dernier terme est traduit par “poursuite”, désigne le fait d’aller vers l’adversaire pendant que celui-ci effectue une action. Chez Joachim Meyer, la poursuite est généralement employée lorsque l’adversaire quitte le liage à distance courte, arme un coup vers le haut, ou manque sa cible. “Nachhauw” est aussi un mot que l’on retrouve dans le ms.3227a, souvent traduit par “coup d’après”. Dans le livre de 1570, “nachhauwen” illustre souvent une seconde action enchainée dans la continuité de la première. J’ai donc choisi de traduire “nachhauwen” par “enchaîner”.

laß also in einem Ziirckel furuber umblaufen / und Hauwe lang nach zur nechsten Blöß

Cependant “nachhauwen” est parfois employé après une parade. Il apparaît alors plus logique de lui donner le sens de “riposter”. Etant donné qu’il existe aussi bien “nachstechen” que “nachhauwen”, la traduction de nachhauwen pourra être “riposter avec une frappe”, en fonction du contexte d’utilisation. On retrouve essentiellement ce cas dans la partie sur les arme à une main, comme le montre le titre d’une des pièces de l’épée seule :

Wie du deines widerparts Haeuw und stich aufffangen unnd nach hauwen solt

Von jdm sich hauwen / sich weghauwen

“Von jdm sich hauwen” et “sich weghauwen” signifient s’éloigner en frappant. Ces deux formules se retrouvent à la fin de nombreuses pièces. Le fait de s’éloigner avec une frappe pour conclure un enchaînement fait directement référence à la Retraite, ou “Abzug”, la dernière phase du combat selon Joachim Meyer.

und im schnall trit mit deinem Lincken fuß zu ruck hinder dein Rechten / und Hauwe dich von ihm.

Schlagen, umbschlagen et ausschlagen

Schlagen

“Schlagen” est un verbe qui veut juste dire frapper. Il est plus souvent utilisé pour évoquer des coups faits avec une arme sans tranchant, comme le bâton. En effet lorsque l’on frappe avec un objet coupant, comme une épée, c’est le verbe “hauwen” qui sera préféré. Dans sa partie sur l’épée longue, le verbe “schlagen” surtout est associé aux coups donnés avec le plat, là ou “hauwen” est surtout employé avec les coup du long tranchant.

Malgré tout “schlagen” est utilisé avec le même sens que “hauwen” pour désigner des frappes faites avec n’importe quelle partie de la lame. “Schlagen” semble un peu plus utilisé que “hauwen” pour évoquer les frappes données avec le faux tranchant, notamment quand la frappe est “raccourcie” comme avec le coup transversal, le Cercle, mais il y a pas vraiment de règles.

Enfin il faut noter que, pour parler de frappes ou de coups avec l’épée, les mots “Schlag”, “Streich”, et “Hauw” sont souvent utilisés indifféremment dans le texte.

Umbschlagen

Lorsqu’il est associé au préfixe umb- le verbe “schlagen” prend une autre signification. “Umbschlagen” est le nom d’une des Manœuvres, les techniques destinées à être employées dans le Mittelarbeit, le milieu du combat, après avoir assailli l’adversaire avec une frappe. Joachim Meyer en donne une définition dans le chapitre 5 de l’épée longue. Le texte définit cette action comme étant le fait de quitter le liage pour attaquer l’adversaire de l’autre côté. Ici schlagen à un sens plus générique, car l’action qui suit un “umbschlagen” est au choix une frappe ou une touche rapide. Le préfixe umb- indique un mouvement circulaire lié à la frappe.

Heist vom Schwerdt umbschlagen / wann du von deiner Rechten gegen seiner Lincken angebunden / vom selben Bandt wider abgehest / zur andern seiten umbschlegest oder zu schnellest.

Les anciennes traductions de l’Ardamhe traduisaient “umbschlagen” par “frapper alentour”. Je fais le choix de le traduire par “frapper de l’autre côté” pour mieux coller à la définition du texte, et rendre cela plus intelligible en français. De plus on constate que l’utilisation de “umbschlagen” dans le texte est toujours lié à un changement de côté pour la frappe.

schlag mit kurtzer schneid […] gegen seiner Lincken zu seinem Lincken ohr / […] wirt er in solcher eil versetzen wollen / […] hauwe behend mit Langer schneid / widerumb zu seinem Rechten or / in solchem umbschlagen […]

Ausschlagen

“Ausschlagen” signifie littéralement éloigner avec une frappe. Il est constitué de “schlagen” qui veut dire “frapper”, et du préfixe “aus-” qui implique un éloignement. Je le traduis par “dégager”. On trouve surtout “ausschlagen” dans les parties sur les armes à une main et les armes d’hast. Il s’agit alors de dégager un attaque venant vers soi, ou l’arme que l’adversaire présente loin devant lui. Mais “ausschlagen” est avant tout un terme générique pour parler de la parade. C’est d’autant plus vrai que dans la partie de l’épée longue dédiée aux parade, au chapitre 5, il est écrit que la parade est en réalité une frappe destinée a dévier l’attaque adverse.

Hauwet er gegen deinem Schwerdt / und will ausschlagen

On rencontre également d’autres termes ayant une signification et un contexte d’utilisation similaire : “ausnehmen”, “abtragen”, “abweisen”, etc… Il faut aussi noter qu’à l’épée seule, “ausnehmen” est un type de parade spécifique.

Streichen / aufstreichen

Mais dans la partie sur l’épée longue, le verbe streichen a une signification bien précise : il désigne une frappe ascendante réalisée avec le faux tranchant. Ce terme sera d’ailleurs quasi toujours associé au préfixe auf-, ou au terme “übersich”, qui indiquent un mouvement vers le haut.

La première pièce depuis la Licorne commence par trois aufstreichen.

De plus il est souvent précisé, en utilisant “aufstreichen”, que la frappe est fait avec le faux tranchant. Et lorsque ce n’est pas le cas, le contexte de la pièce, et les structures de phrases employés viennent fortement suggérer que “aufstreichen” est toujours réalisé avec le faux tranchant, notamment dans les phase d’Approche, comme le montrent ces trois extraits provenant respectivement des premières pièces du chapitre 10, de la Licorne, et du Changement :

Im zufechten wann du kloffters nehe zum Mann kommest / so streiche von deiner Rechten vor ihm auf / durch sein gesicht ein mal zwei drei

Item im zufechten komme mit deinem lincken Fus vor / und streich mit kurtzer schneide von deiner Rechten ubersicht / ein mal zwei durch sein gesicht

so streiche mit halber schneide aus dem rechten Wechsel starck ubersich durch

De “streichen” viens le mot “Streich”, qui encore aujourd’hui à le sens de “frappe”. Les dictionnaires anciens donnent au verbe “streichen” plusieurs significations, mais on retrouve souvent cette notion de mouvement rectiligne ou ascendant. “Brandir” ou “rayer” sont des traductions de “streichen” utilisées dans d’anciens travaux. Dans le contexte de Joachim Meyer, je choisis d’utiliser le terme “frapper” en explicitant le fait que le coup soit fait vers le haut et avec le faux tranchant.

Schnellen

“Schnellen” est un terme un peu plus compliqué à expliquer. C’est un terme que l’on retrouve défini au chapitre 4 avec les autres types de frappe. Joachim Meyer propose deux mots pour désigner cette action : “Schneller” et “Zeckrur”. “Schneller” et le verbe associé viennent évidemment de l’adjectif “schnell” qui veut dire “vite” ou “rapide”, ce qui permet déjà de comprendre que cette action est connotée d’une certaine idée de vitesse. La seconde appellation, “Zeckrur”, est composée de deux parties “Zeck” et “rur”. “Rur” vient du verbe “rühren”, qui signifie “toucher”/”rentrer en contact” et signifie “la touche”/”le contact”. “Zeck” désigne un coup léger, comme celui que se donnent les enfants en jouant “à chat” d’après le dictionnaire Grimm. Le “Zeckrur” est donc un contact bref et rapide avec l’épée.

L’autre chose importante à noter c’est que “Schneller” et “Hauw” sont des termes immédiatement différentiés : malgré une définition qui se mort la queue (un “Schneller” est envoyé en faisant l’action “schnellen”), le texte précise que “Schnellen” n’est pas une frappe, au sens de “Haw”. On retrouve d’ailleurs des passages ou “hauwen” et “schnellen” sont présentés comme deux alternatives différentes :

so hauwe oder schnelle ihm […] zu seinem Kopff oder Armen

Si “hauwen” implique de passer d’une garde à l’autre, “schnellen” se fait depuis le liage en restant à l’épée, souvent avec le fort ou le milieu de la lame, ce qui rend la mécanique de ces deux frappes très différentes. L’une est armée depuis les gardes, et oblige à une certaine amplitude, l’autre se fait avec mouvement plutôt réduits.

On notera d’ailleurs que le terme “Blutrur”, que l’on retrouve dans l’univers des Fechtschülen allemande, est construit de la même manière que “Zeckrur”, et sert désigner le type de touche comptabilisée pour gagner. Une traduction de “Blutrur” pourrait être “touche sanglante”

A cause de leur signification très proche, de la difficulté de les rendre de manières différentes en français, j’ai donc choisi de traduire “Schneller” et “Zeckrur” par la même expression de “touche rapide”.

Conclusion

Lorsqu’il parle des frappes à l’épée Joachim Meyer emploie essentiellement des termes assez génériques : “hauwen” et “schlagen” pour l’action de donner un coup, “Hauw”, “Schlag”, et “Streich” pour désigner la frappe en elle-même.

Certains coups spécifiques auront tout de même un terme dédié. Ainsi faire une frappe ascendante avec le court tranchant sera nommé “aufstreichen”.

Il faut cependant garder en tête qu’une frappe (au sens de “Hauw”) est une manière spécifique de venir toucher l’adversaire, et qui résulte de la transition d’une garde à l’autre. Par exemple les coups envoyés depuis le liage seront appelés “Schneller”.

Enfin, la frappe étant le geste de base de l’escrime, les nombreux dérivés des verbes “hauwen” et “schlagen” viennent définir les différentes actions qui se font avec des frappes, comme les parades, les retraites, etc…

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