Le combat en armure est un élément important du savoir martial de la fin du Moyen Age et du début de la Renaissance. Il est donc naturellement très présent dans le corpus des livres d’armes de cette époque. On remarque alors que celui-ci est pluriel : il existe de nombreuses manières de s’affronter avec une armure : avec la hache ou avec les « quatre pointes », à cheval ou à pied, etc…
Les sources de combat en armure sont nombreuses et viennent principalement du corpus de textes allemands des XVe et XVIe siècle. Ce billet se base sur les auteurs suivants :
C’est le combat à pied, avec « les quatre pointes » qui va nous intéresser ici. C’est une forme de duel, qui se déroule « entre les barrières », c’est-à-dire dans une lice, un espace clos ou délimité. Ce que l’on appelle les « quatre pointes » sont les armes dont sont équipés les adversaires pour le combat. Chacun vient ainsi avec une lance (une pointe), une dague (une pointe) et une épée (deux pointes, celle de la lame et le pommeau). Il se peut aussi que les opposants aient sur eux une targe, ou bouclier à échancre.

Les combattants avec leurs trois armes
Hormis la dague que l’on peut considérer comme ordinaire, la lance et l’épée et l’éventuel bouclier s’avèrent être des armes spécialisées. L’épée peut en effet avoir des portions de la lame non aiguisées et travaillées pour en faciliter la prise en demie épée. Son pommeau peut aussi être garni de pointes et les quillons aiguisés, faisant ainsi de cette épée un outil très adapté au combat en armure. La lance peut également avoir des caractéristiques particulières. Le combat en armure a pied est souvent décrit comme étant la suite du combat à cheval. De ce fait, la lance employée est une lance de cavalier : c’est une arme de grande taille, souvent de plus de 3m, dont l’équilibre est bien sur l’arrière, au niveau du tampon. De la même manière, le bouclier que peuvent porter les combattants est un bouclier à échancre, ou targe. L’échancre permet d’y faire reposer la lance lorsqu’on est à cheval. A pied il semble être fixé au bras par deux lanières.

Différents types d’épées utilisées pour le duel en armure
Le début du duel
Par coutume, ainsi que par contrainte technique (la lance ne pouvant être rangée au fourreau comme l’épée ou la dague), le combat commence en général avec la lance. C’est cet aspect technique que nous allons détailler ici : comment se battre au début du combat avec la lance et contre un adversaire équipé de la même arme. Les textes de combat en armure appartiennent à deux ensembles : la tradition de Liechtenauer et un corpus de textes que l’on surnomme le groupe « Gladiatoria ». Une différence entre les deux vient de l’utilisation de la targe dans les textes issus du Gladiatoria. Les deux traditions seront traitées séparément.
Le combat à pied, avec et sans bouclier
Lorsque le combat commence, on peut se trouver dans deux situations : soit on a uniquement la lance dans les mains, soit l’épée à également été tirée et il va falloir combattre avec les deux armes en même temps.
Il y a deux actions possibles avec la lance : l’estoc et le lancé. Les estocs vont viser les ouvertures de l’armure, le plus souvent la vue et l’aisselle, mais il est aussi possible de viser d’autres cibles, comme l’aine. Les lancés sont trop imprécis pour viser les ouvertures. On se contentera donc de jeter sa lance vers la tête de l’adversaire, et plus généralement le haut du corps.
Travail avec la lance tenue à deux mains
Lorsque la lance est tenue à deux mains, elle se tient en général sur le côté droit, avec la main gauche devant (sauf chez Paulus Kal). L’arme étant possiblement de grande taille, elle peut être saisie « court », avec les mains au milieu, ou « long » avec les mains près de la pointe arrière. Les estocs sont faits en tendant les deux bras pour avoir plus de puissance ; ils n’ont pas l’air d’être coulissés.
Il existe deux gardes avec la lance, l’une haute, l’autre basse. Ce sont les deux points de départ des estocs. Lorsque l’estoc est réussi et la pointe placée, il faut forcer avec l’arme pour passer la maille qu’il y a sous l’armure.
Les parades avec la lance se font en écartant la pointe adverse vers le côté avec la partie avant de la lance. Cependant il faut faire attention à ne pas parer trop large, et rester avec la pointe devant soi pour que l’adversaire ne passe par-dessous la lance avec la sienne. En effet lorsque l’adversaire pousse trop sur le côté avec son arme, dans la parade ou le liage, alors sa pointe n’est plus menaçante. On peut alors ramener la lance à soi pour estoquer de l’autre côté de la sienne.

Un estoc avec la lance saisie “long”
Lorsque les deux adversaires arrivent au liage, et qu’aucun ne commet l’erreur de laisser sa pointe partir sur le côté, alors il faut agir en fonction de ce que l’on ressent au fer. En fonction de la fermeté ou de la faiblesse de celui-ci, il faut agir de différentes manières. Les Peter von Danzig donne ainsi cet exemple :
[…] tiens ta lance à côté de ton flanc droit, dans la garde basse. Va ainsi vers lui et estoque-le habilement au visage en tendant les bras. S’il estoque en même temps que toi, alors monte à sa lance avec ta lance, dans la suspension supérieure. Avec cela saute vers lui et place-lui la pointe en haut. S’il monte avec les bras et qu’il se défend de l’estoc supérieur, alors ramène [ta lance] et place-lui la pointe sous son aisselle gauche, dans l’ouverture ou bien là où tu peux et force devant toi [à travers] lui.
Cette pièce mise à part, le combat avec la lance n’est pas décrit extensivement. Le combat avec cette arme sert essentiellement de cadre pour expliquer des notions théoriques comme le placement de pointe ou la rétractation. On notera toute de même quelques grands principes : diriger le plus possible le fer vers l’adversaire, estoquer vers les ouvertures, ne pas faire de parades trop larges, agir au fer vers les ouvertures, dégager les estocs adversaire avec des frappes, etc…
Jeter la lance
Outre l’estoc, la lance peut aussi être jetée vers l’adversaire. Avec le lancé, on va chercher à atteindre la tête de l’adversaire, ou le haut du corps en général. La position pour jeter la lance est celle que l’on adopte pour lancer le javelot : le bras levé, la main au-dessus ou derrière de la tête, la pointe de l’arme dirigée vers l’adversaire et le pouce vers l’arrière. L’attaque peut sembler impressionnante, mais il semble assez improbable de pouvoir transpercer une armure avec un tel lancé. Peut-être peut-elle sonner l’adversaire si celui-ci est frappé à la tête ? Toujours est-il qu’une lance jetée est toujours parée dans les textes.

Le jet de la lance
Lorsque l’on a soi-même une lance, on pare celle de l’adversaire en faisant un dégagement avec la pointe arrière ou la pointe avant. Une raison qui amène à abandonner la lance est sûrement lié à l’encombrement ce celle-ci. Les lances utilisées peuvent être très grandes, ce qui n’en améliore pas la maniabilité ou la précision, l’adversaire étant loin. Pire, plus l’arme est longue, plus il peut la saisir sans risque, ce qui rend l’arme inutile. Jeter la lance sur son adversaire est donc un moyen commode de se débarrasser de l’arme tout en faisant une action offensive.

Deux jets de lance et leurs parades respectives
Manier l’épée et la lance ensemble
Au début du combat, en venant près de l’adversaire, on peut avoir tiré son épée en plus d’avoir la lance dans les mains. Il existe deux façons de tenir les armes. La première est de tenir l’épée et la lance ensemble, la seconde d’avoir une arme dans chaque main.
Les deux manières de tenir la lance et l’épée
Lorsque l’épée et la lance sont tenues ensemble, on a une main sur la poignée et l’arrière de la lance, l’autre qui saisit la lame et la partie avant de la lance. De cette façon on pourra manier la lance comme précédemment. Cela fait gagner du temps lorsque l’on fait la transition vers l’épée.

La première parade contre le lancé
On pourra aussi prendre une arme dans chaque main, c’est la posture qui apparaît le plus souvent pour le jeter de la lance. L’épée sera sur tenue a une main, par la poignée ou les quillons et reposera contre l’épaule, pendant que l’autre bras se positionnera pour le lancer. Si l’adversaire jette sa lance le premier, la parade se fera avec le bras qui tient l’épée, en dégageant la lance vers le haut. Il est également possible de se protéger avec la lance, en la tenant verticale avec le talon au sol et en écartant celle de l’adversaire avec la partie haute. Dans une grande majorité de cas, quand l’épée a été sortie, on va rapidement se débarrasser de lance, soit en la jetant, soit en la laissant tomber, pour se rapprocher de l’adversaire et travailler avec l’épée.

La seconde parade contre le lancé
L’épée contre la lance
Après avoir jeté sa lance, on peut se retrouver avec juste l’épée face à un adversaire qui a garde sa lance. Comme dans le reste du combat en armure, l’épée est saisie avec la main droite sur la poignée et la main gauche sur la lame. Il faut alors observer la manière dont celui-ci tient sa lance. S’il la tient avec la pointe loin de lui, alors la parade avec l’épée n’est peut-être pas la réponse la plus astucieuse. Avec sa lance tenue ainsi loin, l’arme a plus d’inertie, ce qui permet de dégager l’estoc avec la main gauche et de saisir la lance adverse et lui chercher les ouvertures avec l’épée dans l’autre main.

La parade avec la main libre
S’il tient sa lance avec les deux mains au milieu de la hampe, alors celle-ci est plus courte, plus maniable. Les principes du combat à l’épée raccourcie vont s’appliquer face à un adversaire tenant sont arme en demie lance. Les parades vont ainsi essentiellement se faire avec la partie avant de l’épée et une grande partie des pièces et des luttes du combat à l’épée pourront s’appliquer.
Les techniques de l’épée raccourcies s’appliquent aussi contre la demie-lance
La lance devient vite encombrante face à l’épée et un adversaire bien protéger dans son armure. Les textes ne sont pas très prolixes sur ce cas de figure, Mais les pièces décrivent toujours un épéiste prenant le pas sur un lancier, ce qui indiquerait qu’il faille se débarrasser de sa lance assez rapidement pour passer à l’épée.
La suite bientôt…
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