Le dussack de Joachim Meyer, Partie 15 : L’Arche

L’Arche fait partie des postures caractéristiques du dussack. En effet on ne retrouve cette garde qu’avec cette arme, et se retrouve très souvent dans les différentes pièce, ce qui en fait un élément central de cette escrime.

L’Arche est un peu l’inverse de la parade droit devant : le long tranchant est tourné vers le haut, et la pointe pend vers le sol, et c’est la position des parades haute. C’est une garde où l’arme est très en avant, ce qui la différencie du Taureau, et en fait également une posture depuis laquelle il est facile de se défendre.


Comment tu dois laisser glisser les coups de l’adversaire sur l’Arche, et riposter avec une frappe

Retiens ceci : lorsque tu viens devant l’adversaire dans l’Arche, alors prends garde, et dès qu’il te frappe à la tête depuis sa droite vers ta gauche, tourne le long tranchant et vers le haut et contre son coup avec le dussack suspendu. En même temps que la parade, marche hors de son coup avec ton pied gauche derrière ton pied droit, et laisse ainsi son coup glisser sur ton long tranchant, vers le bas et vers ton côté gauche. Marche ensuite avec le pied droit vers sa gauche, et frappe en avant vers son visage.

Ou bien, lorsque tu as paré son coup en montant vers ta gauche avec l’Arche, comme je te l’ai appris, alors au moment où [les armes] s’entrechoquent ou se percutent, ramène ton dussack vers ton épaule gauche. Frappe aussitôt en diagonale vers sa droite, en passant par son visage ou son bras, puis frappe loin de toi avec un coup médian et un coup de la croix. A propos de cette parade, regarde les petits personnages situés entre les grands de la gravure B.


La première pièce décrit deux ripostes différentes issues de la même parade dans l’Arche. Comme dans la plupart des parades, on recule le pied arrière du côté opposé à l’attaque en parant, et on avant le pied avant pour la riposte.

La première riposte est un classique pour ce genre de parade : la position de l’arme invite très fortement à refrapper de dessus. Si l’on veut être rigoureux dans le mouvement, il faut repasser par le Veilleur pour envoyer le coup. On retrouve cette pièce quasiment à l’identique dans la partie sur l’épée seule.

La seconde riposte est moins naturelle, et surtout elle oblige à repasser dans la Colère à gauche, en allant le dussack sur l’épaule gauche, et pas juste à refrapper avec un mouvement de poignet. Encore une fois on peut s’interroger sur les problématiques de temps créer par l’escrime de Joachim Meyer qui ne décrit que des mouvement amples, notamment pour les attaques.


Une autre pièce dans laquelle sera enseignée la manière dont tu dois frapper vers son visage par-dessous ou par-dessus son dussack, après qu’il soit monté trop haut ou trop bas en parant

Retiens ceci : lorsque tu te tiens dans l’Arche devant l’adversaire, et qu’il frappe avec force à travers ta parade, alors prends garde à la manière dont il remonte pour parer, soit en allant trop haut, soit trop bas. S’il monte trop bas, de façon à ce que tu puisses apercevoir son visage par-dessus son dussack, alors avant qu’il ne monte correctement pour parer, donne un rapide coup médian horizontal au-dessus de son dussack et passant par son visage. Ramène aussitôt [ton arme] autour de ta tête, et envoie un coup de la croix loin de toi. Cependant s’il monte trop haut après t’avoir donné un coup, alors tant qu’il est encore en train de monter, frappe immédiatement à l’horizontale et par-dessous son dussack, vers son visage.

La pièce commence par une attaque de l’adversaire qui ne vise pas le corps, mais l’arme, ce qui ressemble à “un mauvais choix tactique”, vu que cela ne crée pas de menace particulière. Celui-ci fait une frappe complète, ce est la norme dans l’escrime de Joachim Meyer, et donc son coup de dessus est censé finir dans une des gardes basses comme le Bastion ou le Changement. Ceci explique qu’il remonte son arme pour se couvrir après.

La suite ne découle que de la hauteur à laquelle il ramène sont bras après la frappe.


Un principe sur la manière dont tu dois le laisser manquer, puis riposter avec une frappe

Dans l’Approche, place-toi dans l’Arche, et veille à ce que tu ne sois pas trop près. Aussitôt que tu remarques qu’il veut frapper, alors n’attrape pas son coup, et laisse-le manquer sa frappe. Pendant qu’il se commet en frappant, ramène ton dussack vers toi et vers le haut, et recule le pied avant jusqu’au pied arrière, afin que l’adversaire ne touche pas. Au moment où son dussack chute vers le sol, riposte avec une frappe en faisant un grand pas en avant. Tu peux faire cette frappe de riposte d’en haut, en diagonale, horizontalement, ou d’en dessous, en fonction de là où tu vois qu’il peut être touché. Après cette riposte, tu dois également enchaîner rapidement avec un coup de la croix, à moins que tu ne voies une opportunité pour faire une autre pièce.

Comme dans la pièce précédente, l’adversaire frappe hors distance. C’est ce qui permet de ne pas frapper la frappe et de juste faire une esquive de corps. Cette pièce décrit une situation de poursuite, ou Nachreisen, décrite dans les manœuvres de la partie épée longue, et qui est un concept classique de l’escrime allemande de Liechtenauer.


Comment tu dois frapper l’adversaire au radius au moment où il veut remonter son arme pour frapper

Si tu trouves ton adversaire dans l’Arche, alors place-toi également dans celle-ci, et fais attention : aussitôt qu’il monte pour frapper, alors pendant qu’il monte, envoie un coup médian à l’intérieur vers son radius, comme tu peux le voir avec les petits personnages à gauche de la gravure P. Pendant qu’il monte tu peux également l’attaquer avec le coup tourné à l’extérieur, par-dessus son bras droit.

Ou bien, lorsque tu remarques le moment où il monte, alors marche vers son côté gauche, laisse bien ton dussack tourner dans ta main, et pendant qu’il ramène [son arme] vers le haut, frappe son visage par l’intérieur, à côté ou sous sa garde.

Cette pièce en rappelle une semblable de la partie sur la parade droit devant. La situation était la même, avec un adversaire qui quittait le liage pour refrapper. L’avantage ici étant que la frappe est complètement décrite et illustrée.

Un point pose néanmoins question : les frappes de dessus sont faites depuis le Veilleur, ce qui implique de remonter le bras, comme ce que fait l’adversaire. Or ici on a le temps de le frapper pendant qu’il arme sont coup. On peut donc s’interroger sur la nature du mouvement fait pour frapper ainsi dans le contre temps, d’autant que rien n’indique que l’on fasse une frappe du poignet, contrairement au paragraphe d’après.

Dans la deuxième partie, on a peut-être à faire à une frappe du poignet et pas un coup armé avec le bras entier. En effet le texte dit “laß deinen Dusacken in der Handt wol umbfahren“. Umbfahren est un verbe que l’on retrouve assez peu chez Joachim Meyer, utilisé dans les parties concernants les armes a une main. Il a un sens proche, voire identique à umbgehen. C’est un terme utilisé pour désigner un mouvement circulaire, et surtout pour dire qu’une frappe est armée autour de la tête. Cependant ici il est précisé que l’arme “tourne dans la main”. La frappe est donc certainement juste envoyée avec le mouvement du poignet. Ce qui peut s’expliquer pour des question de temps.

Néanmoins en prenant du recul sur le texte, on constate que ces frappes du poignet sont anecdotiques au mieux, et que la majorité des frappes sont faites depuis les gardes, et donc nécessitent souvent un armement plus long, plus large. Il faut donc faire attention à la gestuelle employée pour de pas dénaturer le texte.


Un contre contre l’Arche

Envoie un rapide coup de dessus vers son visage en passant par le faible de son dussack. Avec ce coup, tu l’incites à frapper. Aussitôt qu’il monte pour frapper, dégage loin de toi le coup qui vient vers toi en envoyant un coup médian vers sa main. Enchaîne aussitôt avec un troisième coup.

Cette pièce est le contre de la troisième pièce de l’Arche. Dans ce cas là on manque exprès la frappe en frappant hors distance dans l’arme adverse, ce qui lui donne l’opportunité de frapper.

Cette pièce est une illustration efficaces des trois types de frappes : pour provoquer, pour déplacer, et pour toucher.


Retiens ceci : si tu te trouves dans l’Arche comme ton adversaire, alors ramène ton dussack vers ton épaule gauche. Depuis cette position, monte avec le plat extérieur vers son visage et à côté de sa garde, afin de le provoquer pour qu’il aille vers le haut. En frappant ainsi vers le haut, laisser aller [ton dussack] autour de ta tête, et frappe le second coup horizontalement depuis ta gauche vers son bras droit.

Item. Dans l’Approche, lorsque tu viens dans l’Arche, alors ramène ton dussack de l’Arche vers ta gauche, jusque dans la garde médiane. Depuis celle-ci, va vers son visage avec le plat extérieur en passant par-dessus son bras droit. Réalise cela avec une forte impulsion, de façon à ce que ton dussack file au-dessus de ta tête en décrivant un cercle, et menace de lui envoyer une touche rapide vers l’oreille droite avec le plat intérieur. Aussitôt qu’il va vers cette touche rapide, ramène [ton dussack] vers le haut et autour de ta tête, et frappe horizontalement avec le tranchant incurvé depuis ta droite vers son visage ou son bras. Ceci est une très bonne pièce, et si tu l’exécutes correctement, elle ne te faillira pas.

C’est deux pièces commencent de la même manières, avec une frappe du plat extérieur venant d’une garde à gauche. Dans chacun des cas, les deux frappes s’enchaînent dans un même mouvement.


La touche rapide

Retiens ceci : lorsque tu te tiens devant l’adversaire dans l’Arche, et qu’il ne veut pas frapper, alors remonte jusque dans le Veilleur. Agis comme si tu voulais frapper d’au dessus, mais ne le fais pas. Retourne plutôt [ton coup] tant qu’il est en l’air, envoie rapidement une touche rapide avec le long tranchant, d’en bas vers son bras droit, et ramène de nouveau le dussack vers ton épaule gauche. A partir de là, refrappe vers son visage en passant par son épaule droite, que ce soit par-dessous ou par-dessus son bras droit. Envoie aussitôt loin de toi un coup de la croix, ou un coup pour rabattre [son arme] droit devant.

D’après leur description dans la partie sur l’épée longue, les touches rapides, ou Schneller, se font depuis le liage. Ici il n’est pas question ni de liage, ni de parade, mais la distance à laquelle il est réalisé est similaire aux situations évoquées. Pour rappel le Schneller n’est pas une frappe a proprement parlé (hauw et schneller sont clairement des actions différentiées dans le texte), c’est une action pour toucher l’adversaire depuis le liage, faites en général juste avec le poignet.

Cette distinction est d’ailleurs bien marquée dans cette pièces, car les deux frappes sont armées (dans le Veilleur, puis dans la Colère à gauche) et faites d’un côté à l’autre de l’adversaire (durchhauwen), alors que la touche rapide se fait avec le seul mouvement de la main.


Item. Si l’adversaire te frappe d’au-dessus, alors pare vers le haut et vers ta gauche. Au moment où il remonte son dussack après avoir donné son coup, frappe rapidement en allant de ta gauche vers sa droite, que ce soit par-dessous ou par-dessus son dussack, en fonction de s’il est monté rapidement ou lentement. A la fin de ce coup, tu arrives ainsi sur ton côté droit avec le dussack. Depuis cette position, refrappe fortement et rapidement avec le long tranchant, à l’horizontale et du bas vers le haut, de façon à ce que ton dussack revienne au-dessus de ton épaule gauche. Depuis celle-ci enchaîne en frappant de loin, d’au dessus et droit devant toi.

Encore une fois, le coup de dessus est paré vers le haut dans l’Arche. En accord avec ce que dit Joachim Meyer à propos du liage, on poursuit de l’adversaire quand il part armer son second coup.


Lorsque l’adversaire te frappe d’en haut, au moment où il ramène [son dussack] vers le haut, alors ramène ton arme sur ton épaule gauche, et frappe en même temps que lui horizontalement depuis ta gauche avec le long tranchant. Avec ce coup, marche bien vers son côté droit, ainsi tu le touches, et tu renvoies son coup à travers la croix.

La parade décrite ici fait écho à ce que Meyer dit dans la partie sur l’épée longue, où le coup de dessus est neutralisé par le coup médian en effectuant un pas sur le côté.


Une bonne pièce avec trois coups médians

Donne un premier coup médian depuis ta droite vers son visage en passant par-dessus sa garde. Envoie le second avec force depuis ta gauche en passant par-dessous son bras droit. Donne un troisième coup vers son visage, à l’opposé, depuis ta droite vers sa gauche. Si tu frappes correctement, un de ces trois coups touchera.

Cette alternance de coups au-dessus et en dessous de l’arme permet de mettre l’adversaire en désordre, le forçant à aller dans une direction puis l’autre pour parer. On note d’ailleurs que ces coups doivent passer complètement d’un côté vers l’autre, et non pas s’arrêter sur l’adversaire. Cette pièce se retrouve également dans les manuscrits de Munich et de Lundt.


Retiens ceci : dans l’Approche, si tu viens devant l’adversaire, mais qu’il ne frappe pas en même temps que toi, et qu’il attend tes coups, alors veille à le provoquer avec ton comportement, jusqu’à ce qu’il monte et frappe. Sois bien attentif à ce moment, et dès qu’il monte et qu’il frappe, ramène également ton dussack autour de ta tête pour frapper, et frappe en même temps que lui de manière à ce que tu attrapes son coup sur le fort de ton dussack, et que pendant que son dussack percute le tien, tu le touches au-dessus de la tête avec le faible de ton court tranchant, comme tu peux le voir avec les deux petits personnages de la gravure H, situés entre les deux grands.

Depuis cette position, laisse ton dussack rapidement revenir en dans un mouvement circulaire, et estoque sous son dussack et devant sa poitrine avec la main retournée, de la même façon dont tu peux l’apprendre avec les petit personnages à droite de la gravure K. Frappe ensuite loin de toi à travers la croix.


Le début de la pièce est similaire au coup lorgnant de l’épée longue, comme le montre la première illustration de la pièce.

Dans la seconde partie, le texte utilise le verbe umbschnappen pour décrire le mouvement de l’arme, ce qui suggère une mouvement fait avec le poignet seul, comme vu plus haut avec la pièce usant du verbe umbfahren.


Comment tu dois passer par-dessous, poursuivre, entailler, et combattre depuis l’Arche

Si tu te tiens dans l’Arche comme ton adversaire, alors lie son dussack par le milieu, et peu importe que cela se fasse avec l’Arche ou la parade droit devant. Reste ainsi à son dussack dans le liage, et provoque-le avec la pointe avant, par-dessus ou par-dessous son dussack, en fonction de la manière dont tu as lié. Fais-cela jusqu’à ce qu’il monte pour frapper. Aussitôt qu’il part de ton dussack ou qu’il le ramène autour [de sa tête], et tandis qu’il est encore en train d’envoyer sa main en l’air pour frapper, frappe vers son visage ou vers son bras en passant à côté de sa garde, et en faisant un pas en arrière.

On retrouve ici une application d’un précepte souvent répété : ne pas quitter le liage sans une bonne raison. C’est l’erreur que fait l’adversaire, qui se fait ainsi poursuivre lorsqu’il tente de frapper alors que les armes sont au contact.

Comme évoqué plus haut, la pièce laisse incertain sur le mouvement effectué dans la poursuite. Est-ce une frappe à la gestuelle canonique comme le laisserait supposer l’emploie du verbe hauwen ? Ou s’agit-t-il d’une frappe du poignet ? Sachant que les indicateurs de ce genre de mouvement (umbschnappen, in der Handt wol umbfahren, etc..) ne sont pas présents, le doute, il est difficile de l’affirmer.

Pour finir, on peut aussi noter que le titre n’a pas grand chose à voir avec le contenu de la pièce.


Ce chapitre sur l’Arche vient compléter celui sur la parade droit devant, en offrant un vaste panel d’exemple liés à la parade de dessous. Mais depuis l’Arche, on menace de la pointe tout en mettant de la distance avec l’adversaire. Cela l’incite souvent à tenter de refrapper ailleurs, ce qui ouvre la voie à de nombreuses poursuites, tant de taille que d’estoc. Comme c’est une posture dans laquelle le bras est déjà tendu, on note une surreprésentation des action de poignets, avec comme le montre l’emploi des schnellern, ou des verbes umbschnappen/umbfahren. L’Arche est une posture essentielle du dussack de Joachim Meyer, et les spécificités de cette garde sont autant de marqueur du style du maître strasbourgeois.

Le dussack de Joachim Meyer :

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